Chapitre 10: Schizophrénie

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Il fait froid, si froid. La neige mord ma peau jusqu'au sang, se pose maintenant sur mes cils humides de mes larmes.

Je n'arrête pas de pleurer, recroquevillée sur moi-même, et cela depuis une bonne dizaine de minutes. Le journal calé contre ma poitrine, serré par mes bras fébriles.

"Anastasia". "Anastasia". "Anastasia".

Ce prénom résonne dans tête à chaque battement de mon coeur contre le cuir du cahier, je ne sais même pas pourquoi.

Cette mains si froide, couverte de cette pourriture noire à l'odeur insoutenable qui tache maintenant le contour de la bouche...Cet inconnu qui a entraîné James dans les entrailles de ce maudit souterrain et ces portes complètement fermées. Je n'arrive pas à réaliser, à m'en remettre.

Le froid risque de me tuer si je reste ici. Je décide donc de me relever. Lentement malgré moi, ayant les jambes engourdies et les mains gelées. La neige a arrêté de tomber. Le paysage est magnifique, c'est le mot. Les arbres sont aussi hauts que des buildings, la neige brille sous les rayons de la lune.

"Manon..."

Je me retourne aussitôt. Une voix faible vient de murmurer mon prénom.

-Qui êtes vous ? MONTREZ VOUS !

Mes jambes s'affaiblissent à chacune de mes enjambées dans ce manteau de neige si épais, je m'épuise mais continue de hurler à mon oppresseur. Personne.

Le carnet reste coller contre ma poitrine, seul espoir de vérité que je puisse espérer avoir.

-Le carnet ! je m'exclame aussitôt. Qu'est ce que je peux être stupide des fois... Je ne l'ai même pas feuilleté !

Sans perdre une seconde, j'ouvre le livret en plein milieu de ma course vers la maison et mes amis. Un sorte de force intérieur m'incitait à découvrir son contenu plus que de revoir Cameron, Alex' et même Laura.

Les feuilles sont jaunies, vieillies par le temps, assurément. C'est par delà une encre d'un noir profond que j'y découvre une écriture féminine, soignée. Peut-être une écriture de petite fille. Ou d'une femme.

"Cher Journal, c'est Anastasia, ou Ana. Maman et papa m'appellent toujours comme ça.

D'ailleurs j'aime pas ce prénom, Tommy non plus. C'est moche.

Maman dit que j'ai 11 ans, mais Tommy en a 13 c'est pas juste ! Pourquoi moi je dois être la petite hein ?

J'en ai marre de vivre dans cette grande maison... Papa dit que je ne serais jamais heureuse avec d'autres enfants, il dit que l'école c'est mauvais pour moi parce que je suis trop "spéciale". Mais Tommy et moi on a envie de jouer avec d'autres enfants. Pourquoi Papa veut pas ! Il n'est vraiment pas gentil avec moi..."

Les pages  défilent sous mes yeux hyper vite, cette petite fille me prend littéralement dans son histoire... Ses parents très stricts, son frère Tommy, cette grande maison reculée et ses sorties interdites par delà la forêt. Ce chalet était une véritable prison pour elle mais elle restait adorable dans sa façon d'écrire malgré tout.

Puis les pages deviennent de plus en plus tachées par ce qu'il me semblerait être du chardon, déchirées et avec de plus en plus de ratures sur des mots illisibles.

Soudain une main se dépose sur mon épaule. Je me retourne subitement: personne.

Seulement une petite fille, aux cheveux bruns bouclés et tachés de flocons de neige, au loin. Elle me regarde. Sans bouger.

Ses vêtement sont trempés, peut-être par la neige abondante autour d'elle.

La forêt l'entoure presque, ne me laissant voir que sa petite silhouette fine. Ses cheveux frémissent dans un coup de vent glacial. Je frémis aussi, enroulant mes bras autour de ma poitrine. Tandis que cette enfant ne bouge toujours pas, me fixant au loin.

J'hésite, cette idée est idiote, mais je tente une approche:

-Tu es... Ana ?

Sa tête se pencha violemment sur le côté, presque anormalement. Puis elle avança rapidement vers moi, les bras pantelants:

-Je suis Ana.

-Enchantée, Ana.

Je ne sais pas quoi faire, ni penser. Cette fille a dans les 11 ou 12 ans, hors le journal doit en avoir une cinquantaine ! Ce n'est pas normal, je dois être en train de rêver. La peur grandit en moi et m'empêche de penser intelligement.

-Tu joue avec moi ? chantonne-t-elle d'une petite voix malicieuse.

Il me faut des réponses.

-Tu veux jouer à quoi ?

-Cache-cache. Mais ton ami a déjà perdu, le Méchant Bonhomme il l'a trouvé ! ricane l'enfant en cachant son visage de ses mains aux ongles noircis de saletés.

Mon cerveau fait très vite le point de la situation: Le méchant bonhomme l'a trouvé...? James !

-Et il nous cherche encore ? m'exclamais-je, effrayée.

-Bah oui, hihi.

Son rire me glace le sang. C'est un rire enfantin, innocent...Et pourtant. Pourtant à chaque fois que ses lèvres pulpeuses esquissent un quelconque sourire, à chaque fois que sa gorge produit ce son enfantin, ma peau frémit, mes poils se dressent, mon coeur bat la chamade. Je ne contrôle plus rien.

Je n'arrive plus à bouger. Je suis terrifiée.

-Mais ne t'inquiète pas. Il a faillit te trouver, le Méchant Bonhomme, mais Tommy t'a caché juste à temps ! Maintenant c'est avec moi qui tu vas te cacher, comme ça le Méchant Bonhomme il nous trouveras pas hihihi.

-Et où est Tommy ?

-Oh, il se cache, là. Il a pas envie de revenir.

Revenir d'où ? Je ne comprend plus rien...

-En avant ! Faut vite se cacher, ou le Méchant Bonhomme va revenir pour nous trouver !

Subitement, la petite prend ma main dans la sienne et m'entraîne vers la forêt.

Froide, si froide. Sa peau est d'un blanc spectrale, pareil à celle d'un cadavre... Je ne bouge pas, complètement terrorisée à la vue de la même pâte noire qu'il y avait autour de ma bouche sur sa main, et me laisse entraîner loin du chalet.

Plusieurs minutes s'écoulent, le froid s'estompe.

Étrangement la contact de ma main dans la sienne me réchauffe, comme si cette petite fille me prodigue une chaleur constante par delà ce contact si petit. Ou peut-être que je délire simplement, que le froid a complètement tué mes sensations de mal-être et que je ne ressens plus rien, je n'en sais trop rien.

Soudain, un corbeau se jète sur mon visage. Je ne peux même pas réagir à temps pour l'éviter et le voilà en train d'essayer de me crever les yeux. Je hurle et me débat en agitant mes mains autour de ma tête. Puis l'oiseau se retire subitement et s'écrase contre le tronc d'un arbre: Anastasia vient de l'envoyer valsé d'un seul coup de poing. À ma grande surprise et malheureusement pour ce volatile sûrement sonné, Anastasia saute de tout son poids à pieds joins sur sa petite tête, qui craque ensuite violemment. Puis elle continue à piétiner le reste du corbeau avec hargne, un sourire dérangeant au coin de la bouche.

Je regarde la scène silencieusement, sans bouger. Mes bras sont pantelants, mes lèvres sont closes depuis notre départ, mon corps ne réagit plus. Puis Ana' se retourne et esquisse un grand sourire en me disant:

-Enchanté, moi, c'est Tommy.

AnastasiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant