Infréquentable

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Quelque chose s'achève, quelque chose commence. Je suis le prototype de l'écorché vif.

Il est dit, dans les anciens textes mythologiques, que les héros sont des êtres puissants, redoutables, souvent mis plus bas que terre mais pour mieux ressurgir, encore plus forts et courageux que jamais. Ils sont là pour terrasser le mal, descendre aux enfers afin de botter le derche du responsable infernal, s'illustrant parfois parmi les dieux après avoir prouvé une richesse ainsi qu'un esprit indéniablement divin. Au-delà de ces aventures aux abords manichéens, les divinités, en particulier grecs et romaines (bien qu'il s'agisse de la même chanson, ces gens-là s'arrangent comme ils veulent entre eux) se soumettent à une analyse bien plus intéressante car ils incarnent tous un défaut. Un défaut évident, précis et ravageur, bien entendu. L'un est trop cupide, l'autre bien trop vaniteux, l'autre encore souffre de mégalomanie outrageuse, et la dernière au fond nourrit une telle jalousie que ça va sûrement augmenter ses risques de décès au fil de l'histoire qui lui est consacrée. Ces anomalies, si on peut dire, de leur caractère divin sont si dérangeantes, si blessantes, si outrancières que ça peut aller jusqu'à chambouler tout le plan terrestre, occasionner la mort d'autres semblables ou encore transformer un humain un peu toqué en monstre capable de se mesurer à eux. Il y a plusieurs exemples, même chez les égyptiens ou les indiens, qui possèdent ce genre de tare qui font qu'ils sont, justement, comme ils sont. Le mot est sans doute un peu trop ampoulé car je me souviens surtout de mes vieux cours d'histoire, de quelques recherches personnelles et de l'apport d'un certain nombre d'amis connaisseurs en la matière, mais débattant intérieurement avec tout ceci, cette connaissance bien précise, cette idée qu'un simple défaut, poussé à l'extrême, caricature du vice des hommes, puisse véritablement renverser tout un univers... Je me suis regardé. Littéralement. Dans une flaque d'eau croupie que j'ai croisée en descendant l'avenue Paul Valery, au Lavandou. Je cogitais depuis quelques minutes déjà sur toute cette histoire et en me penchant pour regarder mon reflet, déformé par les clapotis de la bruine et encrassé de boue... Je me demandais s'il n'y avait pas eu un défaut qui m'avait tué. Qui m'avait consumé peu à peu, séduit à mesure que les années passaient pour finalement me fouetter le sang à l'arrivée. Quand le chemin vers la réponse à une question, que je ne m'étais d'ailleurs étrangement même pas posé, arrive à son terme. Le tunnel était derrière-moi et puis, l'univers que j'avais osé construire, m'apparut comme il était véritablement ; c'est-à-dire, infini. Je le voyais bien. Qu'est-ce qui m'avait fait ça ? Je réfléchissais devant moi. Ce défaut, c'était bien l'espoir.

Non, pas n'importe quel espoir. L'espoir nostalgique. Il s'agit d'un amas de souvenir, de quelques miettes décimées on ne sait où dans ma tête, de vieilles photographies accrochées sur un tableau noir, devant mes yeux lorsque je les ferme. Plusieurs voix, mélodies, chansons, échantillon de cinéma et de télévision viennent ambiancer le tout. Les lieux se succèdent sur un affreux fondu enchainé ; des lieux immobiles. Les parfums se mêlent de temps en temps dans la foule. L'odeur du mimosa, par exemple. Celui de la mer salée lorsque l'écume éclate, aussi. Ou encore les effluves du thym sur des pommes de terres rissolées, impeccablement poivrées et qui fondent immédiatement dans la bouche ; exactement comme ma grand-mère les faisaient quand j'allais la voir. Cet espoir que je nomme, pour mieux le détester, espoir nostalgique m'avait fait penser que les routes dont on se souviendra jusqu'à l'épilogue de notre vie, c'était celle qui menaient à la plage, au bois, au lac voire pourquoi pas à la salle d'arcade et que l'on remontait le soir en comptant les jours jusqu'à la fin des vacances. Et pour tout dire, ça me plaisait énormément d'y croire. J'y croyais et, c'est vrai, après tout. Le problème, là où ça a commencé, bien entendu, à blesser, c'est lorsque j'en eu trop fait. Que je me suis mis à confondre fantasme et espoir. Je vois toujours les choses mieux qu'elles ne les étaient déjà. Ce n'est pas super folichon de le constater. Et moi qui était en pleine recherche d'identité ; plutôt de remise en question à vrai dire... Je me suis rendu compte que l'unique remède à mes maux n'étaient que de la poudre de perlimpinpin comme on disait en 79. J'avais besoin de cela, pour essayer de répondre à un certain nombre de questions existentielles que, j'imagine, on se pose tous quand on devient peu à peu adulte. Forcément, je l'avais poussé à l'extrême cette quête d'identité, cette introspection, ce voyage initiatique si j'ose dire. En réalité, je me posais des questions plus ou moins basiques. Qu'est-ce que je fous, putain, ici ? Est-ce que je suis vraiment fait pour survivre seul ou plutôt avec quelqu'un à mes côtés ? Faudrait-il que je laisse vraiment tout tomber ? Quel est l'endroit qui me correspond vraiment ? Quel est ce lieu, cette maison peut être future, ou je pourrais vider mon esprit et simplement me satisfaire du paysage qui m'entoure ? Du quotidien, des habitudes, des rituels et des routines ? Là, où je pourrais me sentir à ma place, en quelques sortes. Où je pourrais m'endormir paisiblement, sans regretter quoi que ce soit, sans vouloir m'enfuir autre part. Je pensais qu'en retrouvant mes racines, je pourrais savoir qui j'étais véritablement et où je devais me situer. Tout cela me semblait foncièrement logique : c'est là que tout a commencé que tout doit s'achever. Les gens qui sont morts dans le même putain de bled que là où ils sont nés m'ont toujours fasciné pour ça. Est-ce qu'ils y sont retournés par nostalgie ou pour y mourir ? Voilà qui fait réfléchir. Les boucles temporels, tout ça ; le serpent qui se mord la queue où je sais plus quelle connerie.

Les Lavandes ÉpicéesWhere stories live. Discover now