Doutes et ambitions

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Je vais être honnête dès le départ : j'ai suivi la ligne du train vers Sarlat parce que je n'avais aucune idée d'où aller pour rejoindre la côte d'Azur. Surtout depuis le Périgord, c'est pas tellement la porte à côté.

Donc, pour de vrai, je me suis rendu à la gare, j'ai sorti mon portefeuille, j'ai regardé le prix des billets de train, j'ai rangé mon portefeuille puis je me suis dirigé vers la première voie qui n'était pas prête de recevoir un train. J'avais de la chance, le budget ferroviaire de la ville n'avait jamais été bien sucré ; c'était une gare ridicule qui s'annonçait à moi. Deux heures entre chaque arrivée et départ puis seulement trois quais différents.

Par ailleurs, une sale envie de caféine m'assiégea alors que je passais devant la machine, installée entre le photomaton et le distributeur à bonbeks. Je regardai à l'intérieur, par curiosité, il n'y avait rien de bien séduisant. Des produits que je ne connaissais pas, avec des noms imprononçables et des parfums improbables. Goût épinard pour un paquet de sucettes, sérieux les gars ? Et je parle même pas des prix ; les gens qui installent ces machines doivent sûrement pas se moucher du coude. J'avais retiré tout l'argent sur mon compte bancaire ; pas bien malin si on voulait me voler mais je préférais voyager comme ça. Toute ma réserve de cannabis était, d'ailleurs, aussi dans mon sac. Si on me fouillait, soit je passais pour un rasta en pèlerinage soit pour une petite frappe parti dealer (surtout vu mon accoutrement, elle est belle la France). Même pas de monnaie, cela va sans dire, alors le café, je pouvais me le foutre au derche. Ce que je fis avec une mine de dépit avant de m'arracher pour la voie C.

Il faisait frais dehors, une petite brise s'était levée avec le chant des oiseaux, ce matin-là. L'herbe était d'un vert presque émeraude ; « smaragdin » comme disent les grands intellectuels qui savent où ils vont. Quelques roses se démarquaient parmi les buissons et les bosquets aussi étrangement qu'un blanc dans un groupe de rap West Coast ou qu'un politicien honnête dans, à peu près, n'importe quel paysage politique ; les deux comparaisons se valent. Il y avait même des loriots turquoises et des milans noirs venus se reposer sur les branches des arbres bordant la gare. Oui, j'ai lu un livre d'ornithologie sur ce sujet à la bibliothèque un jour où je me faisais chier la bite et en plus, il pleuvait. D'ailleurs, selon certaines cultures amérindiennes, les oiseaux sont les messagers pour le peuple de la Terre, ceux de sorcier-chaman prédisant les affres du futur ; c'est pour ça, faut faire intention à ces bestioles. Voilà.

J'ai donc longé la voie jusqu'au bord du quai, j'ai bien fait gaffe à ne pas me faire gueuler puis j'ai bondi sur les brindilles et je me suis mis à suivre les rails. Ça continuait jusqu'au croisement avec une route vers mon ancien quartier, il y avait quelques personnes qui traversaient mais personne n'a bloqué sur mon passage. Ensuite, le chemin du train partait droit devant quittant les boutiques ainsi que les résidences pour les champs et les pâturages. Je me disais que dans le pire des cas, je rentre dans une ferme en mode subreptice et je subtilise un œuf ou deux et, je suppose que je me débrouille pour le faire chauffer et le becter. J'avoue, comme un beau clampin que je suis, que je n'ai pas pensé, et ce à aucun moment, à prendre un équipement pour dormir. Déjà que je n'y connaissais rien en camping et compagnie, si j'avais prévu le coup, je suis certain que je me serais planté quelque part. Genre une couverture trop fine alors que je me caillerais ou une connerie dans le style.

Donc. Seul, avec mon sac à dos, mon eau, mon argent, mes sandwichs et un bâton que je venais de ramasser pour m'en servir comme d'une canne, j'étais sur la route.

Et quand j'y repense, en effet, emporter une boussole ou une carte n'aurait pas été une si mauvaise idée que ça. En tout cas, j'avais les rails pour me guider ; si je le suivais, j'allais immanquablement débarquer à Sarlat un jour ou l'autre. Le plus tôt me semblait être, bien évidemment, le mieux mais bon, c'est pas la même vitesse à pied qu'en train. Fallait assumer. Et j'assumais.

Les Lavandes ÉpicéesWhere stories live. Discover now