VIII

40 6 0
                                    


Sur la table de chevet de Gabriel, un livre tout corné est posé. Un recueil d'Arthur Rimbaud. La page 55 est marquée par un post-it bleu et Ophélie l'ouvre délicatement. C'est un poème à côté duquel un cœur rouge et une lame bleue sont tracés. Ses yeux se posent sur le titre : « Ophélie ». Une larme amer coule le long de sa joue avant de tomber sur son prénom. Elle commence à lire :

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis...

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe,fantôme blanc, sur le long fleuve noir :
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir...

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses longs voiles bercés mollement par les eaux :
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle :
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile
- Un chant mystérieux tombe des astres d'or...

II

O pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus,enfant, par un fleuve emporté !
C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;

C'est qu'un souffle du ciel, tordant ta chevelure,
À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits,
Que ton cœur écoutait le cœur de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;

C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible égara ton œil bleu !...

III

- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter,comme un grand lys. »


Cœurs unisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant