2. Arwen

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J-J

Le voyage jusqu'à Baleah avait été harassant, mais bien mérité. J'étais arrivée en fin d'après-midi, alors que les derniers rayons du soleil créaient un halo autour de la « pyramide ». Je pris le temps de souffler en regardant la majestueuse silhouette de Baleah se dresser devant moi. Cette ville paraissait splendide, surtout aux dernières lueurs du jour. Mais je savais que c'était illusoire : Baleah était la ville la plus effrayante et la plus détestable qui existait. C'était mon premier séjour dans celle-ci, et j'avais été prévenue des nombreux dangers que j'encourais. Je flattai l'encolure d'Ethna, rabattis ma capuche sur la tête malgré la chaleur et repris la chevauchée au galop. Je passai les portes de la ville alors que la nuit finissait de rabaisser son voile obscur sur le ciel. 

La ville s'organisait en plusieurs niveaux qui définissait les classes sociales des habitants. Je débouchai sur une place du premier étage. Il y flottait une forte odeur d'épices. Je découvris que cette odeur était bien propre à la ville, car quel que soit l'endroit où l'on se trouvait, le parfum me suivait. Ce soir toute la population était rassemblée dans les derniers niveaux. Je croisais pourtant quelques vagabonds qui semblaient avoir perdu leur chemin, et plusieurs hommes sous l'emprise de l'alcool qui me regardaient de leurs yeux vitreux. Les voir ainsi, complètement désœuvrés et obligés de se tenir aux murs pour rester debout, me fit comme un pincement au cœur : Baleah c'était ça, partout, la misère. 

Je gravis les paliers de la fourmilière pour me rapprocher de plus en plus du murmure lointain de la foule. Les sabots d'Ethna claquaient continuellement contre les pavés, quand nous arrivâmes devant une auberge assez avenante. Dans ce secteur de la ville, le niveau de vie était plus élevé et les rues étaient plus larges : on y respirait donc plus aisément. Je mis pied à terre et Ethna éternua, créant un vacarme assez sordide dans les ruelles silencieuses. Je le laissai dans la rue, accroché à un poteau et m'engageai dans la taverne. Je pris une voix d'homme que j'avais mûrement entraînée, car être une femme seule à Baleah était fortement déconseillé. Le tenancier fut surpris de me voir entrer. Je réservai une chambre, mais il m'informa que c'était impossible. En voyant son regard agacé et empreint de répugnance, je devinais qu'il me pensait incapable de payer :

« Si c'est l'argent qui vous inquiète, je n'en manque pas. »

Il afficha un air satisfait :

« Qu'est-ce qui vous emmène à Baleah, l'ami ? »

Déjà, il prenait un ton plus accueillant. J'avais l'impression d'avoir entièrement cerné sa personnalité en moins de quelques minutes. C'était un homme exécrable qui n'avait d'yeux que pour l'argent.
Je me réjouis de voir son ahurissement, alors que je lui apprenais que j'avais une place aux loges. Désormais, il était aux petits soins avec moi : je faisais partie de la classe supérieure. Je saisis les clefs sur le comptoir et me dirigeais vers l'escalier :

« Oh, j'oubliais...j'ai attaché mon cheval dehors, pourriez-vous vous occuper de lui et le rentrer à l'écurie ? »

Il acquiesça d'un mouvement de tête :

« Par contre cela fera 15 sous de plus, dit-il avec une allure mesquine. »

Il voulait jouer à ça...Je soupirai assez fort pour qu'il l'entende. J'avais assez d'expérience pour savoir que la pension d'un cheval ne coûtait pas si cher, surtout à Baleah. Mais je pressentis que le patron peinerait à rentrer Ethna aux écuries. Cette idée me fit sourire et je ne protestai pas :

« Je déposerai l'argent sur le comptoir en sortant »

La chambre était assez spartiate pour son prix. Seulement ce n'était pas étonnant puis qu'à Baleah, même un caillou était vendu pour de l'or. « L'aubergiste est un authentique arnaqueur », pensai-je en détaillant le mobilier élimé. Qui plus est, la salle d'eau était commune à tous les logements, mais je ne pensais pas avoir de problème ce soir, car l'auberge semblait vide. Je pris un long bain, pour me débarrasser de la saleté accumulée au cours du voyage. En sortant du baquet, j'imaginais presque mes ennuis  se noyer dans l'eau. Je retournai dans ma chambre et sortis mes affaires de mon sac. Cette nuit pour me fondre dans la masse, j'allais devoir faire comme les autres femmes, ce qui me déplaisait au plus haut point, mais c'était inévitable. Je du enfermer ma cage thoracique dans un corset qui m'empêchait pratiquement de respirer, rehausser ma poitrine avec des mouchoirs et enfiler des collants. Je pris le temps de me regarder dans un miroir. J'avais l'air pitoyable, comme une gamine qui essayait un déguisement. Les femmes qui vivaient à Baleah étaient, soit tellement peu féminines qu'elles vivaient comme des hommes, soit elles étaient sous la« garde » d'hommes colossalement riches. Ce soir, je devrais me faire passer pour l'une de ces dernières. Dans le monde, la situation des femmes était compliquée, à Baleah, elle était révoltante.    



Crédit photo : Dark Alley par Christopher Rabenhorst

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 16, 2017 ⏰

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