Première partie.

383 23 41
                                    


« Putain de merde ! »

Le sifflement du vent couvrit sa voix. Il poussa un second juron tout en refermant son manteau. Il neigeait à gros flocons et ses vêtements ne résistaient pas à l'humidité. La neige fondait et pénétrait le tissu, lui glaçant le sang.

Il marchait rapidement. Il fuyait sa famille, ses amis ; tout. Il avait froid. Ses membres le brûlaient, mais il continuait.

« Eh beau gosse, t'aurais pas du feu ? »

Il se retourna, surpris. Une petite brune le toisait, une cigarette entre les lèvres. Elle ne portait qu'une petite robe ainsi qu'un collant. Elle ne semblait pas avoir froid pour autant.

« Ça dépend, t'as une deuxième clope ?répondit-il avec un léger sourire. »

Sa robe moulait son corps, laissant apparaître d'agréables formes. Elle sortit une cigarette de son décolleté, le visage impassible. Il lui tendit son briquet.

« On pourrait aller ailleurs ? Se poser dans un coin tranquille. »

Elle lui prit la main avec, cette fois-ci, un petit sourire. Il ne put refuser, hypnotisé par sa poitrine volumineuse.

« T'emballes pas coco, j'ai pas l'intention de m'envoyer en l'air. Ou, en tout cas, pas avec toi. »

Elle agrémenta ses paroles d'un clin d'œil. Il soupira, déçu, sa cigarette éteinte toujours coincée entre ses dents.

Ils s'arrêtèrent à l'entrée d'un parc situé entre la 8e et la 10e rue. Il le connaissait. Tous les mercredis après-midis, jusqu'à l'âge de onze ans, il venait y jouer avec son grand frère. Voilà qu'il y retournait aujourd'hui, toutes traces de son innocence envolées.

Elle lui rendit son briquet puis pénétra dans l'espace de jeu. Il protégea la flamme à l'aide sa main et alluma enfin son bâton de nicotine.
Il la rejoignit en tirant doucement sur sa cigarette. Elle était assise sur une balançoire, observant ses ongles peints.

« T'as un p'tit nom ?, lui demanda-t-elle.
Morgan, grimaça-t-il.
T'as un nom de gonzesse.
Morgan sans e, précisa-t-il. »

Elle pouffa en recrachant sa fumée. Il soupira tout en observant son bien se désintégrer entre ses doigts. Il la porta à sa bouche et aspira la fumée.

« Lucy, je m'appelle Lucy, avec un y, lui confia-t-elle en écrasant sa cigarette à peine consumée contre sa semelle.
Tu sais combien ça coûte un paquet de clopes ? souffla-t-il en tirant une nouvelle fois sur la sienne qu'il venait de rallumer.
J'sais pas, j'vole des paquets à mes potes., elle en sortit une troisième.
Sept putain d'euros, il lui proposa une seconde fois son briquet, Tu veux ? »

Elle le remercia, alluma son bien et tira dessus durant de longues secondes.

« Et t'as quel âge blondinet ?
J'suis pas blond., il passa brièvement ses mains dans sa masse capillaire.
Je te donne vingt-sept ans., dit-elle en recrachant un léger nuage de fumée. »

Il ferma les yeux quelques instants avant de soupirer. Il savait son visage déformé par la fatigue, mais il ne pensait pas que c'était aussi pitoyable.

« J'en ai dix-neuf., murmura-t-il.
Oh merde.
J'fais peine à voir, hein ?
Bah j'me disais que t'étais plutôt bien conservé pour un quasi-trentenaire.
Pour toi les trentenaires sont repoussants ? la questionna-t-il en jetant son mégot dans la neige. »

Il referma un peu plus son manteau. La cigarette lui avait tenu chaud quelques minutes mais le froid avait repris le dessus.
Voyant qu'elle n'était pas décidée à répondre, il ferma les yeux. Il était épuisé.

« Pas repoussants. Je sors avec un trentenaire mais il est pas ultra fun. Je préfère les jeunes parce qu'ils savent plus s'éclater, tu vois le genre ?
Pas vraiment. Je sors jamais. En fait, j'ai personne avec qui sortir. »

Elle lui jeta un regard surpris auquel il ne fit pas attention. Il était habitué à ce que les gens trouvent bizarre qu'il n'ait pas d'amis ; surtout à dix neuf ans. Pour eux, dix neuf ans était synonyme de fête, d'alcool et de drogue. Pour lui, ces trois mois avaient une toute autre signification.

« Oula, c'est pas normal d'être aussi morose à dix neuf piges. Qu'est-ce qui va pas dans ta vie, Morgan sans e ? demanda-t-elle en se balançant doucement. »

Elle parut insatisfaite de son manque de réponse. Elle tapota la balançoire à ses côtés, l'invitant à s'y installer. Il céda après une demi minute d'hésitation.

« Puisque tu veux pas parler, c'est moi qui vais parler ok ? Et quand j'aurai fini, tu me raconteras ton histoire. »

Elle tira une nouvelle fois sur sa cigarette, recracha la fumée d'une manière sensuelle et se mit à parler :

« Je suis née au Canada, il y a fort fort longtemps. J'ai deux grands frères, Steve et Tom, qui font tous les deux partis de grandes équipes de hockey. J'ai aussi une sœur, Belle. Ah.. ma sœur. On est jumelle mais à part notre physique, on a rien en commun. Elle se donne des airs de petite fille sage mais c'est qu'une sale garce manipulatrice. »

Pour appuyer ses propos, elle cracha par terre, comme répugnée d'avoir prononcé son prénom. Il l'écoutait parler, les mains plongées dans les poches de sa veste.

« Quand j'étais au lycée, je sortais avec ce gars, Jared. Dieu seul sait à quel point il était beau. On était follement amoureux. Je nous voyais déjà avec des gosses et un chien, elle lâcha un rire amer. Mais bien sûr, il a fallu qu'elle gâche tout. Un jour, elle est allée raconter à tout le bahut que je l'avais trompé avec toute l'équipe de cross du lycée adverse. Il l'a cru. Tout le monde l'a cru. Tout ça parce qu'elle était déléguée des élèves et que madame représentait la bonté et la bienveillance.
Putain, vous êtes tarées entre filles, la coupa-t-il.
Ta gueule, laisse moi finir. »

Il leva les mains en signe d'abandon mais les replongea bien vite dans leur refuge lorsque le froid commença à lui grignoter les doigts.

« Je disais donc ; j'étais anéantie. Moi, la petite Lucy Wilson, vierge jusqu'au dent, traitée de salope de tous les côtés. Bien sûr, Jared m'a quittée. Il ne pouvait pas supporter de sortir avec "une traînée pareille".
Quel fils de pute, commenta-t-il.
Exact, mais tu sais pas la meilleure. Il m'a quittée pour se mettre avec cette pétasse de Belle. J'ai appris récemment que c'était elle qui s'était fait prendre par tous les trous. »

Les onze coups de minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant