Deuxième partie

220 17 16
                                    


Elle jeta son mégot dans la neige puis tourna son regard vers lui. Son visage était doux, presque angélique. Il ne reflétait aucune haine, peut-être une légère trace de lassitude.

« Qu'est-ce qu'ils sont devenus ? demanda-t-il pour combler le blanc.
Je suis invitée à la baby shower de leur deuxième enfant. Une petite fille. La pauvre gosse, elle va grandir dans une famille de barges. »

Le silence s'installa entre eux. Un silence apaisant durant lequel Morgan assimilait les informations et Lucy ravalait ses émotions.

« Ça ne m'explique pas pourquoi tu te balades toute seule, une mini robe sur le dos, à dix heures du soir, finit-il par dire.
Ça, c'est un autre histoire, Morgan sans e. Maintenant, c'est à ton tour. »

Il poussa un long soupir. Elle lui avait raconté un bout de sa vie, il était juste de faire de même. Rongé par l'anxiété, il commença à triturer le bas de son manteau.

« Moi aussi je connais les années d'école catastrophiques. Quand j'étais encore au collège, mes parents se sont séparés. Évidement, la séparation ne s'est pas super bien passée. Ils étaient tellement occupés à s'engueuler que j'ai du m'occuper seul de mon p'tit frère. On venait souvent jouer ici d'ailleurs, surtout avec cette balançoire. »

Un sourire nostalgique étira tristement ses lèvres.

« Tu vois cette cicatrice ? il pointa le bas de son œil gauche. J'étais monté trop haut et je m'étais ouvert avec une pierre. J'ai failli perdre un œil à cause de ça. J'aurais eu un cache œil, comme un pirate, rit-il.
C'est sexy les pirates, sourit-elle.
C'est vrai, quand ils sont assez crédibles. Enfin bref. J'ai été soigné par notre voisine, Mrs. Hudson. Ma mère n'a remarqué que trois jours plus tard que j'avais un énorme pansement Mickey sur la face. »

Cette remarque arracha un rire à son amie d'un soir. Il leva timidement le regard vers elle. Elle avait l'air de vraiment l'écouter. C'était bien la première fois que ça lui arrivait.

« Ça te donne une idée de climat qui s'était installé chez moi. Mes parents se comportaient comme des gosses et moi, du haut de mes onze ans, je devais assurer leur rôle. Je passais mes soirées, voire mes nuits, à m'occuper de Michael. Il avait sept ans à cette époque alors il avait besoin d'attention, beaucoup d'attention. Tellement d'attention que j'en avais négligé mes propres devoirs. Mes notes étaient en chute libre. Je récupérais même mes nuits pendant mes cours. Mes profs tentaient d'alerter mes parents mais ils étaient trop occupés à se crêper le chignon.
Je comprends. Mes parents restent ensemble parce qu'ils ne veulent pas perdre de l'argent dans un divorce. Ils se crient tout le temps dessus, c'est vachement chiant, intervint-elle.
Comme tu dis, c'est vachement chiant. Les miens ont fini par divorcer après trois ans de disputes et de procédures inutiles. Vint ensuite la question de qui allait garder les enfants. Michael est allé avec elle, je suis allé avec lui. J'ai perdu presque tous contacts avec mon frère à partir de ce moment là. Nos parents nous interdisaient de nous voir car "il est avec l'autre là". »

Il marqua une pause, étira ses doigts gelés devant ses yeux, jeta un petit regard à la blonde et reprit son récit :

« Je suis entré au lycée. Contrairement aux autres élèves, je n'ai pas cherché à me faire des amis. Ça ne m'intéressait pas. Tout ce que je voulais, c'était savoir si mon petit frère allait bien. Ma mère a déménagé à l'autre bout de la ville après que j'eu réussi à aller lui rendre visite à la sortie des cours.
Mais quelle salope égoïste celle là. »

Cela le fit rire. Oh oui, pour être une salope égoïste, elle en était une. L'une des meilleures dans le domaine.

« Ton histoire est finie ? demanda-t-elle en battant l'air de ses jambes.
Non, mais j'en ai beaucoup trop dit par rapport à toi.
Tu trouves ? Il est temps que je te raconte une autre histoire alors. »

Elle se leva, remit délicatement sa robe en place puis tendit les mains vers lui.

« Lève toi, j'ai quelque chose à te montrer.
Maintenant ?
Oui, aller hop. Ça va te réchauffer, espèce de frileux. »

Il grogna mais finit par saisir ses mains. Elle lui offrit un grand sourire.

« Je vais te raconter comment j'ai rencontré Charles, mon petit-ami.
Charles ? Il est français ?
Oui, et il est très riche. Toujours plongé dans le travail pour gagner le moindre centimes, expliquait-elle tout en le tirant dans les rues de la ville.
Épouse le, attends un peu et tue le dans son sommeil. À toi l'héritage.
J'sais vraiment pas comment les gens ont pu ne pas t'aimer au lycée, t'es vachement drôle ! rit-elle. »

Il lui répondit par un sourire forcé. Sans le savoir, elle avait ravivé un souvenir faiblement enfouie.

« Nous y voilà. Morgan sans e, bienvenue au Clair de Lune ! »

D'un geste théâtral, elle désigna l'enseigne lumineuse d'un café. Les lumières étaient éteintes et les stores baissés.

« Je suis censé voir quelque chose en particulier ? lui demanda-t-il, sceptique. »

Elle ne lui répondit pas. Elle retira son talon gauche, saisit un petit objet brillant puis le remit à sa place.

« J'ai découvert un truc très pratique la dernière fois, ça s'appelle un sac. C'est pas très connu mais super utile. »

Elle leva les yeux au ciel, un léger sourire naissant au coin des lèvres.

Il ne savait pas pourquoi, mais depuis qu'elle l'avait écouté il se sentait plus à l'aise avec elle. Comme s'il pouvait être lui même sans se soucier d'être jugé. Bordel que ça faisait du bien, pensait-il.

« Ce que je veux te montrer est à l'intérieur, gros débile. »

Elle inséra la clé dans la serrure, tourna deux fois vers la gauche puis ouvrit la porte.

Elle se laissa tomber sur l'un des nombreux fauteuils. Morgan, lui, observait la pièce, émerveillé. Il était impressionné par le nombre de livres que de simples petites bibliothèques en chêne pouvaient contenir.

« Maintenant qu'on est là, je peux commencer mon histoire..
Tu travailles ici ? la coupa-t-il en s'installant à ses côtés.
Écoute l'histoire. »

Il capitula assez vite sous le regard froid que lui lançait son amie. Il retira son manteau et l'incita à continuer.

Les onze coups de minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant