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(En média, Cheia de Marra de MC Livinho)

Sur la place Nuevo Mundo régnait un chaos sans nom. Adan et moi étions parvenus à y accéder sans encombre, nous avions l'avantage d'être en hauteur sur les toits. Et il avait vu juste en m'affirmant que le gros de l'assaut s'y déroulait :  un véritable nuage de poussière s'élevait sur plusieurs mètres au dessus des toits et plus nous nous approchions, plus mes yeux et ma gorge me brûlaient. Je relevai mon bandana sur ma bouche et lançai un regard entendu à Adan ; en bruit de fond, des détonations par dizaines perçaient l'épaisse masse poussiéreuse. Quelques minutes plus tard, juchée sur les toits et ayant jugé être à bonne distance de la fusillade, je me baissai le plus possible et plissai les yeux à la recherche de Cassio, Tina ou d'un quelconque visage familier. Pour ne pas perdre de temps, je chargeai mon fusil et visai soigneusement, à l'affût du moindre geste - la poussière perturbait mon champ de vision, les détonations survenaient de partout et des cris semblaient provenir de tous côtés. 

- Reste ici, je descends aux nouvelles, m'adressa rapidement Adan avant de descendre du toit. 

J'étais à nouveau seule et je n'avais plus peur ; l'adrénaline avait remplacé mes craintes. Je gardai un oeil sur Adan afin de couvrir ses arrières mais regagnai ma position initiale lorsqu'il se fondit dans la nuée sanglante. Une silhouette distincte se dessina progressivement dans mon champ de vision, dans le doute, je la pris en joue et retins ma respiration. Je ne devais pas tuer l'un des nôtres. Les secondes s'écoulèrent lentement et de la sueur me perlait dans la nuque, il fallait que j'agisse vite avant que la silhouette ne disparaisse. Était-ce un bandana blanc que je voyais noué autour de son cou? Mais alors, son visage m'apparu clairement et mon cœur rata un battement. La silhouette se déplaçait avec rapidité et bientôt, elle parvint à quitter la place Nuevo Mundo en grimpant sur une casa, camouflée par le nuage opaque. Mon grand-frère se faisait la malle. 

Ni une ni deux, je me redressai sur mes jambes et me lançai à sa poursuite, perchée sur les toits environnants. Je ne savais pas ce que je faisais, je n'avais qu'une idée en tête : ne pas laisser échapper ce visage familier. Mes oreilles bourdonnaient, j'étais complètement folle de courir ainsi exposée au vu et au su de tous. Quelque chose se passa à cet instant précis ; une douleur me vrilla le mollet et quelqu'un hurla mon nom. J'étais allée trop loin pour m'arrêter, j'ignorai la douleur et accélérai de plus belle, elle finit par disparaître au bout de quelques instants - sûrement engourdie par l'adrénaline. 

Plus loin devant, j'aperçu la silhouette de Thomaz. Je gagnai en terrain. J'hurlai son nom à m'en époumoner et l'effet fut immédiat, il ralentit dans sa course mais ne s'arrêta pas. Dans un état second, je levai mon arme sous mes yeux, incapable de viser correctement à cause de ma course, et tirai au hasard. La balle transperça un réservoir d'eau quelques mètres à côté de mon frère. Ce dernier finit par s'arrêter tout à fait et je n'en compris la raison qu'en m'approchant : il était bloqué dans une impasse, dix mètres devaient bien nous séparer des casas en face.  Erreur de débutant, il était monté sur les toits sans même se soucier de savoir où il allait, la Rua 13 s'étendait en contrebas et était beaucoup trop large pour que l'on puisse sauter. 

Lorsque je m'arrêtai à mon tour, tout retomba d'un coup : mes poumons me brûlaient, mon gilet pare-balles me faisait flancher sous le poids et mon mollet droit me lançait douloureusement. Je lançai un rapide regard à ma blessure et soufflai de soulagement en constatant que je n'avais qu'une simple blessure, la balle avait dû me frôler. Je relevai la tête vers Thomaz. Ses yeux étaient noirs, ses pupilles dilatées. Il était sous l'emprise de la drogue. Mais il semblait tout de même lucide. Je le prenais en joue, le doigt sur la détente et les bras tendus malgré la fatigue de l'effort physique. Son regard jonglait entre mon arme et moi, comme s'il ne me croyait pas capable de tirer. Et il avait raison. 

La Favela du Crime - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant