Chapitre Premier

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    Kyva courait à travers champs ; sentir l'herbe lui fouetter les jambes et le froid mordre son visage et ses bras, cela n'avait pas de prix. L'air de la campagne nettoyait ses poumons de l'air lourd de la ville. Il adorait cette sortie de la semaine où il pouvait se promener librement ainsi toute la journée et ne rentrer que tard le soir sans se faire disputer. Le soleil entreprenait son éternel jeu de cache-cache avec son amante la lune. Les champs s'assombrissaient considérablement tandis que Kyva humait l'air frais du soir, aux senteurs de nourriture qui sortait du fourneau. L'atmosphère changea vite, devenant plus lourd et moins propre en approchant de la ville. A cette heure-ci les portes étaient déjà closes, mais Kyva savait comment entrer. Un peu plus loin au nord des portes, existait un passage ; une fissure dans la muraille qui entourait la ville, juste assez large pour permettre à un renard des Vals de passer, et pourtant ils étaient aussi gros que des chiens de berger. Kyva, qui était plus petit et plus fin que les autres enfants, put sans aucun mal passer par ce trou. En revanche, il fallait faire attention de l'autre côté aux Têtes Grises qui patrouillaient souvent dans le coin. En même temps, ici se trouvait le quartier des gens riches.
    Une fois que le dernier garde de la ronde fut passé, Kyva sortit de sa cachette en rampant le long des murs qui entouraient les jardins. Quelques maisons plus loin, un temple dédié à la Grande Prêtresse se dressait. De multiples prises simples escaladaient ses parois, offrant ainsi la possibilité de franchir le mur. Il parvint aisément à atteindre le toit sans que les gardes ne le voient. Une fois sur le toit, il fallait se coucher sur les tuiles glissantes afin de ne pas être vu. Malheur à vous si vous étiez découvert là-haut, profanateur ! Il serpenta de maison en maison pendant ce qu'il lui semblait être des heures. Il s'écorcha les mains et les genoux avant de se voir contraindre de redescendre dans les rues qui devenaient de plus en plus blanche à mesure qu'il approchait de la rue des Belles. Kyva marcha tranquillement, tout en surveillant ses arrières, suivant une rue parallèle à la Grande Route. Il tourna à droite au dernier croisement et atteignit une ruelle qui s'élargissait. Là, se dressait fièrement une vieille auberge rénovée au milieu des différentes maisons de plaisirs. Du bruit et des effluves d'alcool s'échappaient des fenêtres du Héron Grivois. C'était un bâtiment haut de deux étages ; le rez-de-chaussée servait de taverne et le premier étage était réservé aux filles et aux garçons ainsi qu'à leurs clients, le grenier servant de logis au personnel.

    Kyva évita des personnes qui ne marchaient plus droit et gagna la cour intérieur, là où les chevaux attendaient leur maître dans leur stalle. Plus loin se trouvait un seau d'eau et il s'en servit pour s'essuyer les mains ainsi que ses genoux écorchés. Dans la cuisine, les cuistots et les serveurs s'affairaient à leur tâche. Il y avait beaucoup d'agitation cette nuit. Certes l'établissement restait souvent ouvert tard le soir, mais aujourd'hui l'activité ne décroissait pas. Ce devait être à cause de la semaine du Renouveau que tout le monde faisait la fête. Tant mieux, au moins cela remplirait les bourses de l'auberge et peut être que Kyva aurait plus de pièces à la fin de la semaine. Il passa discrètement dans la salle bondée et monta les escaliers qui menaient au premier étage. Il croisât plusieurs filles et garçons qu'il salua rapidement, avant de prendre une petite porte foncée au fond de la salle. A partir de là, des marches aux lattes grinçantes montaient au grenier. Derrière la porte, plusieurs lits étaient alignés les uns contre les autres et certains étaient séparés par des rideaux aux motifs de fleurs, le lit de certaines filles. Kyva se déshabilla et s'affala sur la couche du fond qui se situait près de la fenêtre ronde. Il contempla le ciel et sa magnifique lune aussi ronde qu'une femme féconde et ses nuages clairs qui prenaient des formes fantasques.
     Un serpent ailé s'amusait à tournoyer dans le ciel, laissant derrière lui un voile aux couleurs douces qui s'étalait comme une goutte d'huile. Le ciel fut bientôt coloré de rose pâle, de jaune éclatant et de bleu clair, éclairé par une multitude de gouttelettes qui reflétaient la lumière telles des perles provenant de la mer. Mais il fut vite entouré par ces perles qui se resserrèrent autour de lui en s'allongeant, lui masquant la vue. Par instinct, il ferma les yeux mais quand il les rouvrit, les jolies couleurs chaleureuses avaient disparu ne laissant place qu'à une froide brume sombre qui l'entourait. Il se balançait, ou plutôt sa cage se balançait dans le vide, à deux mètres du sol. Des visages s'illuminèrent, dévoilant des sourires moqueurs et des yeux avides, le doigt tendu qui l'accusèrent silencieusement.

Le Cinquième ŒufOù les histoires vivent. Découvrez maintenant