Pro Anorexie

2.

La chasse d'eau s'actionne, je vois mon désespoir et ma souffrance s'évanouir dans le tourbillon de l'eau. Je vomis à peu près 3 à 4 fois par jour. Le conseil était celui-là. Augmenter les vomissements dans la journée. Le plus possible.

"Vomir pour maigrir, voici l'astuce !"

Je tourne ma tête vers le côté opposé, celui du miroir. Le reflet laisse voir une fille sans émotions ni compassions, juste avec le t-shirt relevé montrant des côtes, le ventre si plat que l'on pourrait le qualifier d'inexistant... Je suppose que je suis maigre, mais la vitre renvoie toujours une image de moi grosse. Comme avant, à cette rentrée éprouvante, celle qui a changé mon corps certes, mais aussi ce qu'il y avait dans ma tête auparavant. J'ai changé toute entière. Je me souviens encore de ce papier que m'avait lancé Sarah lors d'un cours d'EPS.

"Tu es moche, tu es grosse, tu es minable, tu es bête et une moins que rien. Élimine au moins quelques-uns de ces défauts en t'inscrivant sur Pro Ana. Et le jour où je t'y verrais, tu pourras intégrer notre cercle d'amis. A toi de voir !"

Je l'ai encore ce petit bout de papier, je le regarde tous les jours et pourtant rien n'a changé. Ça a même empiré je dois dire. Je suis toujours humiliée, jugée, plus parce que je suis grosse mais bien parce que je suis un tas d'os. Finalement, ce site ne m'a rien apporté à part la possibilité de maigrir autant que je le voulais en adoptant un mode de vie assez difficile mais supportable. L'anorexie est un mode de vie, je vis comme je maigris.

17h50, domicile.

J'entends le son de la télévision dans le salon, mon frère. Il regarde un film d'horreur. J'ai peur de ce genre de film, j'en fais toujours des milliers de cauchemars, mais la quiétude m'oblige à y aller. A 15 ans encore, j'ai affreusement peur du noir. Ma chambre en est vêtu, j'éteins les lumières à partir de 16h pour éviter de trop me voir dans la glace qui occupe une bonne partie de ma chambre, bien que l'envie me démange. La noirceur de la pièce m'effraie. Je suis face à un dilemme. Soit je rejoins mon frère et je prends le risque de faire des cauchemars pendant une semaine, soit je reste dans le noir à m'apitoyer sur mon sort, celui d'être anorexique. Ce n'est vraiment pas facile. Mais comme le dit Pro Ana, il faut savoir s'adapter.

J'opte alors pour le premier choix.

Mes pas résonnent dans le couloir fait de violet.

Bastien

-Ah, Mary ! Tu veux regarder ? Lui demandais-je. Elle a le visage pâle, je me demande si elle ne couve pas quelque chose. Ses yeux verts nénuphars me dévisagent, son sourire autrefois rayonnant est éteint et laisse maintenant place à un sourire triste, ses clavicules normalement bien camouflées ressortaient. Elle ne mange plus trop en ce moment, je l'ai remarqué lors d'un repas de famille. Celui de ce week-end. Elle n'a mangé qu'une partie de l'apéro, mais je voyais bien qu'elle n'était pas à l'aise. De plus, elle s'est téléporté aux toilettes et n'en ai plus ressorti pendant près de 30 minutes !

-Oui, je veux bien. Me répondit-elle brièvement en s'asseyant. Depuis l'épisode du gymnase, je n'ose pas trop la charrier sur son poids, qui était autrefois imposant, je suppose qu'elle s'en est rendu compte et qu'elle fait des efforts pour maigrir. Comme faire du sport par exemple, ou ne plus manger entre les repas. Je trouve ça bien qu'elle prenne enfin soin de son corps, je l'encourage d'ailleurs dans sa quête d'avoir le corps de ses rêves. Aucun surpoids, et elle sera sublime et ravissante. Mais quelque chose en elle a changé depuis peu, je ne sais pas quoi mais je suis déterminée à creuser pour savoir ce qu'il se passe dans cette petite tête blonde.

Mary

Une scène de film me fit sursauter, ce qui m'obligea à baisser la tête pour tenter d'oublier cette frayeur. Je vois. Qu'est-ce que je vois ? Ce bracelet de couleur rouge, signe d'appartenance à la communauté "Pro Ana". Je relève la tête immédiatement en essayant de ne plus penser à cette vision. Cette vision encore plus effrayante que cette scène d'horreur. Après tout, c'est à cause de ça que je suis comme ça. Ou plutôt à cause d'elle.