«Solveig, Gauvin et Helmi se détestent cela va de soi : la première, c'est clairement la chouchou des profs, vu qu'elle aime travailler. Le second, c'est le type bien lourd qui me sert de voisin et qui pue le Mcdo... Vous comprenez donc que c'est moi la troisième, Helmi. Je pourrais vous émouvoir en vous disant que je suis la fille mal dans sa peau et dans son corps mais ce serait vraiment n'importe quoi. Le vrai problème, c'est que je suis vraiment à l'aise dans ma vie, j'ai zéro problèmes. Quoique, on me dit souvent que je suis dans mon coin, que je devrais aller vers les autres. Sauf que les autres n'ont pas compris à quel point mon coin est génial... »
- Voilà, j'ai écrit tout ce que t'avais besoin de savoir maman, sur ma journée, je te laisse tout bien lire, j'ai pas le temps de rester ici, à la maison...
Je pars, précipitamment, une tartine entre mes mâchoires, parce que la confiture, le sucre m'apaise en général. Dieu merci, je ne suis pas diabétique, je crois que je mourrai sans ma dose minimale quotidienne de sucre... Tout en haut, ma mère désapprouverait certainement en riant les propos de ma pensée immorale. Je me suis beaucoup imaginée ce qu'elle m'aurait dit, un autre jour de mon anniversaire, le quinzième. Mais on sait bien qu'elle ne sera plus jamais là pour moi : « Ta mère est partie en Scandinavie et ne veut plus nous rejoindre, plus jamais nous revoir » dixit mon père. Au début j'étais une enfant sage et crédule, je la maudissais et une boule de rage se formait tranquillement en moi. Mon papa m'élevait avec sa compagne qui était ma nouvelle figure maternelle. Au début, je jouais les petites filles sans maman farouches, mais après une semaine, je compris qu'elle ferait la meilleure de toutes les confidentes et, plus tard, une amie. Être solitaire ne signifie pas forcément se conformer à la solitude, ni vivre dans l'autarcie sociale. Quand je me relis, je vois une fille très confuse qui passe d'un sujet à l'autre. "Über Gott und die Welt sprechen" aurait minaudé cette prétentieuse de Solveig, si le prof de question avait interrogé la classe sur la traduction de "parler de tout et n'importe quoi"... Tu me diras, je devrais balayer devant ma porte avant de critiquer autrui, sauf que moi, je prend tous le joli cheni sur mon paillasson pour l'exposer sur mon étagère.
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- À toi de voir si c'est une métaphore, chère enfantrice, si ce terme existe par-delà mon dictionnaire qui n'a jamais réponse à mes questions. Je me demande pourquoi papa a choisi de me dire que tu t'en étais allée en Scandinavie au lieu de m'avouer la vérité, c'est-à-dire, ta mort définitive. Peut-être que la Scandinavie a un truc sympa à ses yeux, que vous vous êtes rencontrés durant un voyage estudiantin et vous vous êtes amusés dans une tente exiguë. Peut-être que vous avez réveillé la moitié des étudiants qui faisaient figure de sagesse autour de vous. Bref, je suppose. Même si à mon âge, la supposition ou le doute ne sont pas tellement conseillés.
Re-Bref, on a le cours de question aujourd'hui. Tu te demandes ce que peut être ce cours à la dénomination singulière ? Et bien, moi aussi...
Dans le fond, sur notre programme on peut lire "Français", mais même cette bûcheuse de Solveig hésiterait sur la nature réelle de ce cours, tant on y apprend autre chose. On en découvre tellement plus qu'on ne s'y attendait après être entrés, assis, vissés les fessiers sur nos chaises, la main tendue de curiosité. C'est aussi le seul cours où Solveig ne parle pas et ça fait vraiment du bien. Je suis méchante, pas besoin de le relever à chaque fois, je sais que c'est purement gratuit et j'assume pleinement : si je ne lance pas de piques, je me glorifie, à toi de savoir la pire des deux tortures pour ton veuf mari.Re-bref bis, le cours de question, donc et je me décide à entrer dans la salle, royale comme à mon habitude, puis j'adresse un "bonjour" rayonnant à cet être de perfection qui nous sert de prof, avec ses cheveux noirs qui bouclent et visage qui évoque un enfant trop pleurnichard qui vient tout juste de grandir. Il me sourit modérément, comme toujours, comme s'il se retenait de fondre en larmes. Je pense que tout le monde sais que j'ai un béguin pour ce prof, y compris lui-même et je n'espère rien. En vérité, cela m'effraierait qu'il y ait de la réciprocité dans mes sentiments : ce serait un taré. Mais je le trouve mignon quand même et il évite simplement de m'expliquer la théorie en se collant à moi pendant que je ne l'écoute pas et que mes pensées vagabondent. Le truc avec moi, c'est que le français, c'est facile, je suis une littéraire, moi. Bon, Solveig reste la meilleure mais je suis contente de ne rien devoir faire et, osons le dire, de mater en douce à la moindre occasion.
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La boue des chaussures
Short StoryRecueils de nouvelles - la boue des chaussures (une nouvelle pensive) - le cours de questions (une nouvelle morbide) - la muse (une nouvelle très courte)