Chapitre 1

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  - An 1421 -
A bord d'un navire de Dalmas en direction de Varrone

  Simon était assis en tailleur sur le pont, avec trois autres membres de l'équipage, et faisait des nœuds marins.

   Les autres hommes travaillaient méthodiquement, échangeant des histoires grivoises qui, imaginait-il, auraient fait rougir sa mère d'indignation et de dégoût. De l'autre coté du pont, Jean - un très jeune garçon qu'il avait rencontré sur le bateau - aidait Hernest, le maître-coq, récurant des pots et des casseroles avec du sable et de l'eau de mer.

   Jean parlait, maintenant. Il ne prononçait pas beaucoup de mots a la fois, et toujours en réponse a des questions, jamais de sa propre initiative, mais au moins cela voulait dire que l'angoisse de son départ ne l'avait pas rendu muet.

   Un brusque courant d'air, venu de la grande-voile, les rafraîchit, remuant la frange de Simon d'un côté de l'autre. Sur le pont avant, l'un des matelots jouait du violon, un air léger et fantaisiste qui lui rappela son continent d'origine. Cette chansonnette lui parvenait plus ou moins fort, selon le vent.

   Il finit de serrer le bout de la corde et étira son dos endolori balayant du regard la calme activité qui l'entourait. De la maintenance, en grande partie. Une équipe s'occupait des voiles, d'amarrer les cordages, une autre de renforcer les ourlets des voiles. Les hommes se penchaient légèrement dans le doux balancement du navire qui montait et descendait au rythme des vagues, sur l'océan.

   Dans des circonstances un tantinet différentes, pensa Simon, je crois que je pourrais me faire à cette vie.

   -Eh, Simon, tes doigts de comtesse rechignent à la tâche, ou quoi ? Demanda l'un des hommes assis à côté de lui.

   Il s'agissait d'Edouard. Il avait été autrefois enrôlé de force dans un équipage pirate, et appréciait à présent le régime nettement plus facile d'un navire de la compagnie Dalmas.

   -Oui, ça fais mal aux mains, pour sûr ! Dit-il en lorgnant les ampoules qui ornaient ses doigts. Je crois bien que je ne pourrai plus jamais faire de nœuds !

   Cela fit rire Edouard et les autres, qui en avaient fais maintes et maintes fois l'expériencence.

   -Et allez, y r'met ça, avec son numéro de princesse.

   C'était bien ça, l'astuce, bien sûr, c'était ça qui fonctionnait: son étrangeté. L'équipage dans son ensemble se montrait chaleureux envers lui, et cela venait principalement de la curiosité qu'il leur inspirait, tout comme des singes de laboratoire qui auraient considéré un nouveau jouet couinant qu'on aurait lancé dans leur cage. Simon avait rapidement compris que le meilleur moyen pour lui d'être accepté - ou plus précisément adopté - par cet intimidant équipage de voyous et de vieux ours mal léchés n'était pas d'essayer de s'intégrer, mais bien de se tenir à l'écart, de se montrer excentrique. Ils avaient l'air d'adorer ça. Quant à Tom en revanche - l'un, du moins le seul, ami qu'il côtoie depuis si longtemps et qui, sur un coup de tête avais décidé de le suivre dans cette aventure -, tout aussi étrange à leur à leurs yeux, ils le considéraient avec circonspection. Il avait acquis le rôle de l'invité, fidèle à la table du capitaine. Si Simon faisait partie des gars de l'équipage, même s'il s'ajoutait une note singulière à leur fraternité, Tom était tenu à une distance respectueuse.

   -Tiens ! Dit Edouard en s'emparant d'une grande chope de bière posée à même le pont, et en la tendant à Simon.

   -Merci.

   Il but la bière à grands traits. Il avait dû apprendre à l'apprécier, car il valait encore mieux supporter le goût de levure tournée par la chaleur du soleil que la mixture croupie et piquante qu'était devenue la réserve d'eau potable du navire.

   Ça fais presque un mois, maintenant, se dit Simon.

   Un mois qu'ils avaient pris la mer et voilà que déjà la routine de la vie à bord lui paraissait normale. Les premiers jours avaient été les plus difficiles. Il commençait à se demander s'il avait bien fait.

   Juste à ce moment-là, Simon regarda vers la poupe et vit Tom sortir de la cabine du capitaine en marmonnant. Simon s'excusa, se leva et alla le rejoindre.
Tom hocha la tête quand il vit Simon appuyé contre le plat-bord.

   -Comment s'est passée ta visite, ce matin ? s'interroge Simon.

   -J'ai l'horrible sentiment que nous sommes tombées sur un amateur, déclara-t-il, les yeux fixés sur les rouleaux de la mer. Il n'y connaît rien du tout en navigation. C'est un vrai jeu de devinettes, avec lui.

   -Mais il sait où on est, quand même ?

   -Sa meilleure hypothèse est si approximative que c'en est inquiétant. Il pense que nous sommes quelque part le long de la cote d'Ostalie dans L'Atalante.

   Le capitaine aurait déjà dû gagner le grand large, mais il a décrété qu'il attendait un vent plus favorable. La vraie raison, pensait Tom, était que, au dernier moment, il avait pris peur à l'idée de traverser l'océan.

   -Il n'a pas la moindre idée de la façon dont on calcule la longitude et la latitude. C'est pour ça à mon avis qu'on se cramponne à la cote Ostalienne, comme des débutants, dit Tom, en désignant d'un signe de tête la pâle ligne de terre, à l'horizon. Comme ça, il n'a même pas besoin de regarder une carte. Il s'en sort tant qu'il voit la Côte. C'est très scientifique, tout ça, hein ? Dit-il en éclatant de rire.

   -C'est surtout très préoccupant, répondit Simon.

   -Je fais ce que je peux. Surtout, je fais de mon mieux pour essayer de comprendre le fonctionnement de son quadrant. C'est déjà assez terrible qu'on ait embarqué sur ce bateau, mais si le capitaine ne connaît pas son boulot, alors là...

   Simon hocha la tête ; si la situation n'avait pas été si inquiétante, il l'aurait surtout trouvée embêtante.

   -Bon, il faut voir le bon côté des choses Simon. Dès qu'on débarquera quelque part, il y a des chances que l'on nous aide.

   -Seulement si on s'arrête, et c'est peu probable. s'inquiète Simon.

   -Du calme, le rassura Tom. Les héros ne meurent jamais, pas vrai ? répond Tom en affichant un sourire béat.

   Simon se jugea plutôt pessimiste étant donné qu'il y avait eu jusque-là presque autant de ratages que de réussites dans leur petite histoire commune. Peut-être légèrement moins de ratages...

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 13, 2018 ⏰

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