Les Misérables : La Mort d'Éponine (Reprise)

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Durant la révolte contre Louis-Philippe, chaque personne du peuple est convoquée et invitée à participer à la révolte. Hommes, femmes et enfants se battent pour leur liberté.

Le petit garçon qu' Éponine observait dépouiller les cadavres devant la barricade venait de s'écrouler, face contre terre, mort. Bien qu'elle ne le connaisse pas, elle s'effondra à son tour, en larmes. C'était encore une vie qui venait de s'envoler, sans plus de raison que ça. Elle ne voulait plus voir les gens mourir pour une cause perdue. Et si Marius était mort, lui aussi ? Elle n'aurait même pas pu le revoir pour lui souhaiter bon voyage au paradis si, du moins, il en existait un.

Elle sentit une main se poser sur son épaule et tourna le regard vers l'homme qui tentait de la réconforter. C'était un inconnu, jeune et beau, qui avait, comme tous les autres, perdu le goût de la vie.

Tous les révoltants pleuraient le petit garçon, mort par le jeu des balles. Tous soufflaient son nom : Gavroche, l'enfant feu follet. Chacun regardait vers ceux qui avaient amené la mort à le prendre dans ses bras, afin de le bercer de sa douce mélodie. Chacun gardait l'espoir de le venger un jour, de venger toutes les victimes de cette révolte. Et Éponine était l'une d'entre eux. Elle se releva non sans l'aide du jeune homme. Ce dernier partit après avoir vérifié qu'elle se portait bien. Elle ne pensa pas à lui demander son prénom et se promit de le faire si elle le recroisait quand tout cela serait terminé. Elle regarda encore quelques instants le cadavre de l'enfant puis détourna les yeux et se remit à la tâche qu'on lui avait confiée : faire le tour des blessées, juger les cas les plus graves et soigner les moins difficiles. Elle inspecta l'état des gens qui se trouvaient aux alentours et s'arrêta au niveau d'un vieil homme dont la jambe saignait abondamment.

- Venez donc par-là mon bon monsieur, dit-elle avec sa plus douce voix.

Le vieillard se tourna vers elle et la fusilla du regard. Puis, comprenant qu'elle ne venait pas pour engager les hostilités, il posa l'arme qu'il était prêt à braquer sur elle et la laissa panser sa blessure. Soudain, il détourna le regard qu'il fixait jusque-là sur sa bienfaitrice et prit la parole de sa voix rauque.

- Dites-moi, jeune fille, vous paraissez forte, gentille et intelligente... Seriez-vous prête à sacrifier votre vie pour sauver des innocents ?

Éponine le regarda avec étonnement puis dit :

- Bien évidemment, pourquoi donc cette question ?

L'homme lui prit le poignet avec empressement et l'attira près de lui pour que nuls autres qu'eux ne puissent entendre ses paroles.

- Il est impératif d'éloigner les enfants de l'école que vous voyez là-bas, murmura-t-il en désignant un bâtiment à moitié effondré, qui menaçait de s'écrouler entièrement. Je leur ai demandé d'attendre que je revienne les chercher... Mais, maintenant, avec cette jambe qui me cloue ici, ils sont seuls au monde, pauvres orphelins, sans défense et apeurés. Je leur ai promis de les sauver... Même si j'arrivais à les rejoindre en me traînant jusqu'à eux, je ne pourrais plus les guider hors de la ville... Est-ce que vous auriez le courage de faire ça pour eux, pour moi ?

Les larmes coulaient sur les vieilles joues ternes et sèches de l'homme. Éponine, qui, par le passé, l'aurait envoyé si facilement paître, pris ses mains rêches dans les siennes, et avec son plus beau sourire, lui répondit :

- Oui ! je vais y aller, je vous les ramènerai vivants.

« Quitte à y laisser ma vie... Mais trop d'enfants sont déjà morts ici... Je ne peux pas les laisser se faire massacrer ! » ajouta-t-elle en son for intérieur.

Elle ne voulait plus être spectatrice impuissante de toutes ces scènes d'horreur. C'était décidé, maintenant, elle jouerait avec le peuple contre les soldats. Elle se rendit d'abord dans la petite infirmerie improvisée qu'elle et ses quelques compagnes avaient aménagée, y récupéra une partie des bandages et médicaments qui y était stockée et les cacha sous un pli de sa robe déchirée par le travail, véritable chiffon qui ne tenait plus sur ses épaules que grâce à deux maigres ficelles toutes effilochées. Enfin, elle ressortit du bâtiment sans laisser de signe de son passage.

Éponine se frayait un chemin parmi les soldats en évitant au mieux les bouts pointus de leurs fusils et la poudre, encore chaude, de leurs balles. Elle se dirigeait vers le bâtiment que l'homme lui avait indiqué. Personne ne lui demanda où elle allait de son pas déterminé ; et pour ceux qui le comprirent seuls, ils ne la stoppèrent pas. Elle était juste devenue folle à leurs yeux... Comme tous les autres.

Atteindre l'école ne lui prit que quelques instants qui parurent être des heures pour elle. Ce fut un désastreux miracle quand elle découvrit une scène aussi lugubre que rassurante. Plusieurs enfants étaient réunis autour d'un petit feu de camp. Tous étaient sales : couverts de suie et de sueur. Leurs habits, s'ils en avaient, étaient miséreux et tombaient en miettes. Quant à leurs regards, ils étaient vides, ou pleins de larmes pour certains. Mais au grand soulagement d' Éponine, elle ne compta aucun cadavre parmi eux.

Ils la prirent d'abord pour une ennemie et se massèrent, instinctivement, en un tas encore plus resserré pour pouvoir résister. Patiemment, Éponine réussit à gagner un peu de leur confiance et à leur expliquer la situation. Le plus grand se leva alors et prit un bâton qu'il avait dû tailler, maladroitement, lui-même.

- Qui nous dit que tu ne viens pas juste en éclaireur pour mieux pouvoir nous faire tuer à la sortie ? Lui dit-il sur la défensive.

- C'est ce vieil homme qui m'envoie pour vous faire passer de l'autre côté, répondit-elle en indiquant du doigt la minuscule silhouette du vieillard, avachi contre son mur, au loin.

« Il vous connaît et vous le connaissez. C'est lui qui m'a demandé de venir vous chercher ! » Rajouta-elle calmement.

Le petit garçon lâcha son bâton lorsqu'elle mentionna l'homme.

- On va te suivre.

Il fit un signe de tête à ses camarades et tous se mirent en marche. Ils passèrent parmi les soldats du peuple, rampèrent derrière les barils de poudre, vides, qui servaient de remparts, continuant sans relâche d'avancer. Personne ne les regardait : on aurait dit qu'ils étaient des fantômes.

Quand, après une rafale de coups de feu plus proche que les autres, plusieurs petites mains s'agrippèrent à la robe d'Éponine, celle-ci se déchira au niveau d'une des petites ficelles qui faisaient office de bretelle, dévoilant une partie de son sein droit, blanc et propre.

- Excuse-nous, dit l'un des enfants. Mais, y'a un souci : mon ami a coincé son habit dans un clou, il est resté là-bas. Si l'armée le voit, ils vont le tuer, comme Gavroche...

Un instant, Éponine repensa au corps du jeune garçon mort plus tôt. Elle se leva légèrement, laissant apparaître ses cheveux mal attachés et emmêlés au-dessus de la petite barrière.

Elle entendit un coup de feu et sentit ses cheveux retomber sur ses épaules. La balle n'avait touché que son nœud mais elle savait qu'elle venait d'échapper à la mort. Elle n'y prêta plus attention que ça et continua son chemin en direction du petit garçon qui se démenait avec son clou.

Arrivée à son niveau, elle déchira son pantalon pour lui permettre de s'échapper de l'emprise du petit bout de métal. L'enfant se releva, sans prêter attention aux fusils maintenant braqués sur eux. Mais Éponine, elle, les avaient bien vus. Avant même qu'elle ait pu entendre les remerciements du garçon, elle plaça sa main devant la petite tête aux cheveux emmêlés et cria :

- Ce n'est qu'un enfant !

Mais seules les balles qui vinrent traverser sa main, se plantant juste après dans la tête de l'enfant caché derrière, purent l'entendre. Le bruit des premières détonations donna le coup d'envoi à une séries de vagues similaires. Personne ne fit attention aux enfants, bousculés, frappés, tués dans la mêlée.

Pas plus qu'à cette femme au grand cœur, qui venait de s'effondrer sur elle-même. Elle s'éteignit comme tant d'autre, sans que personne ne puisse témoigner de sa bravoure et de son courage.

Elle fut jetée dans le tas des victimes déplorées le soir-même. On ne voyait d'elle plus qu'une face livide, une chevelure dénouée, une main percée et un sein à demi-nu. Elle s'appelait Éponine.

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