Le Miroir

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Il était riche, très riche. Il avait de quoi être heureux, il était beau, avait un travail de rêve, et des femmes qui lui couraient après à chaque coin de rue. Pourtant, c'était un homme antipathique : mauvais, égoïste et lâche de surcroît, ne pensant qu'à sa fortune, et ne se souciant pas des autres. Il n'était donc évidemment pas marié mais vivait tout de même dans une villa luxueuse, à côté du château de Versailles.

Prétentieux et assuré de sa puissance, il se désintéressait vite de toute chose, notamment si cela relevait d'un niveau d'intelligence supérieur au sien. Il se disait que rien ne pourrait venir perturber son paradis personnel. Pourtant, ce sont souvent les choses les plus infimes qui bouleversent le monde. Et puisque cet homme croyait en être le centre... Ce fut effectivement un événement commun qui vint le perturber.

Ce matin là, l'homme se sentait, comme à son habitude et sans raison apparente, très fier de lui. Alors qu'il resserrait son nœud de cravate, on sonna à sa porte. Ne voulant pas salir ses chaussures dans la rosée du matin, il fit appel à sa bonne :

- Esclave !Esclave !

Une femme d'une trentaine d'année apparut l'instant d'après dans la pièce. Fulminante de rage, elle alla se poster devant son employeur et posa un doigt sur son torse afin de signaler son mécontentement profond :

- Je vous fais remarquer, monsieur, que je ne suis pas la moins du monde une esclave. Alors votre ménage vous n'avez qu'à le payer pour qu'il se fasse tout seul ! Vous êtes définitivement un personnage exécrable. Il est hors de question que je reste ici une minute de plus. Sur ces belles paroles, je m'en vais.

L'homme resta de marbre. Voilà la sixième bonne qui quittait sa demeure depuis deux mois. Il regarda cette dernière partir sans même prendre le temps de refermer la porte derrière elle. Sur son passage, elle frappa le carton que le facteur tentait désespérément de faire rentrer dans la somptueuse boîte aux lettres. Ce dernier, étonné, se tourna vers elle et voyant la colère scintillant dans ses yeux, se hâta de faire passer le colis dans la petite fente ornée d'or. Puis, comme s'il était coursé par des chiens, il repartit en trombe sur son vélo.

Monsieur MENFICHE, de son prénom Armand, exprima son mécontentement par quelques noms d'oiseaux lancés à la volée. Puis, contraint par la situation, il dut se résoudre à sortir chercher son colis lui-même, en chaussettes. Son voisin, ennemi juré de longue date, amusé de le voir dans cette situation ridicule, en profita pour lui faire une petite remarque moqueuse et obscène.

Ne pouvant en supporter plus, il récupéra le carton sous son bras et rentra chez lui, honteux de sa tenue. Il pourrait traîner ces trois là en justice, faire en sorte de leur faire payer leur infamie sous forme d'une amende pour laquelle ils devraient tout abandonner. Il savoura cette idée quelques instants, puis la laissa de côté... Il aurait le temps d'y réfléchir plus tard.

Puisqu'il s'était donné tant de mal pour ce paquet, il préféra l'ouvrir de suite. Après avoir déchiré soigneusement le carton, il en sortit un miroir de taille moyenne. L'expéditeur n'étant pas précisé sur le paquet, Armand en conclut qu'il devait s'agir d'un simple fan ou d'une prétendante bien intentionnée, qui lui offrait un cadeau. Mais pour lui, ce miroir n'avait aucune valeur. Comme l'objet était de jolie facture, taillé dans du bois précieux, il décida d'en décorer son salon.

Lorsqu'il le posa doucement contre l'un des murs de la pièce, il ne se doutait pas que ce simple geste amorçait le début de sa fin. Insatisfait du résultat, il essaya tant bien que mal de le retirer mais rien y fit, le miroir était accroché et resterait là jusqu'à nouvel ordre. Comme la petite plaque de verre était cachée par deux petits rabats richement sculptés, l'homme résigné à laisser l'objet en place, les déplia doucement. Puis, se désintéressant du miroir, il repartit terminer sa toilette avant de partir à son travail.

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