Les têtes blondes

Laura

   Ce nom est l'un de mes meilleurs souvenirs, un de ceux qui me font sourire parfois. Peu en sont capables.

   Il date d'une après-midi d'hiver, quand alors que la nuit tombait à peine je m'étais assoupie sur le duvet de la neige. Quelques flocons invisibles étaient venus se poser dans mes cheveux, et les faisaient briller dans la pâleur du crépuscule. J'avais fait le vide dans ma tête, pour oublier, et même les ébats du vent n'auraient pas pu me réveiller.

   L'ombre s'est rapprochée, et elle s'est agenouillée à côté de moi. Elle a dit, de sa petite voix cristalline d'enfant :
"Tu as froid ?" et je n'ai pas répondu. Alors elle a continué, l'ombre a parlé seule pendant quelques minutes, me faisant lentement sortir de mon silencieux linceul.

   Lorsque j'ai ouvert les yeux, c'était un petit garçon qui devait avoir à peu près mon âge, mais qui était aussi infiniment jeune. Il semblait être seul à pouvoir me discerner, allongée dans la neige et dans mon manteau blanc.

"Je m'appelle Mathéo, et toi tu t'appelles comment ?
_Moi je n'ai pas de nom.
_Alors tu t'appelleras Laura, comme ma maman !"

   Mathéo ce jour-là avait été mon ange, car j'aurais sûrement succombé dans l'océan froid si nul n'était venu interrompre mon sommeil, et j'aurais été abandonnée à mes douloureux souvenirs. Il est peut-être l'unique personne à qui j'admets devoir quelque chose.

   Mon ange est parti lorsqu'une voix l'a appelé à travers le brouillard, en me laissant derrière lui. Je m'appelle Laura, et quand j'ai été seule je me suis mise à pleurer. Le gel venait cueillir mes larmes jusqu'au bout de mes cils, et sa longue traîne brouillait ma vue comme si les milliers d'étoiles blanches qui tournoyaient au grès de la brise avaient voulu protéger toutes ensembles ma candeur d'enfant.

   Alors, je me suis relevée, et en partant je n'ai ni regardé ni vu les grandes tâches rouges qui avaient avalé la pureté de la neige derrière moi.

   Ce sang aurait pu être le mien.