Chapitre 1

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Juillet 1927


Une belle journée s'annonçait. Déjà les rayons malicieux d'un soleil espiègle s'étaient faufilés entre les épais rideaux de la chambre et venaient agiter leurs pointes aveuglantes autour de Candy. Elle tourna la tête d'un côté, puis de l'autre, le sourcil froncé et la moue boudeuse. La chaleur brûlante de ce matin de juillet commençait à envahir la pièce. La jeune femme se redressa et décida de sortir sur la terrasse en quête de la dernière fraîcheur matinale. Tout en se levant, elle posa un regard attendri sur la silhouette endormie à ses côtés. Silencieusement et avec précaution, elle baissa la poignée de la porte-fenêtre et passa un pied dans l'ouverture.

Une brise légère virevolta autour d'elle, dégageant de son joli visage les longues mèches emmêlées de la nuit. Elle s'approcha du balcon et s'appuya légèrement sur la balustrade afin d'admirer, comme à son habitude, la magnifique roseraie d'Anthony, lovée un peu plus bas, au sein du vaste jardin des André. Le délicat parfum de roses aux essences multiples s'élevait en une farandole enivrante vers elle. Elle sourit en humant ces tendres odeurs, d'un de ces sourires mélancoliques qui s'étaient si souvent dessinés sur ses lèvres, lorsque les souvenirs pénibles se faisaient plus présents et venaient pincer son cœur endolori.

Oh...Anthony - soupira-t-elle tristement.

Cela faisait maintenant bien longtemps qu'Anthony avait disparu dans ce tragique accident de cheval qui lui avait coûté la vie. Candy gardait depuis ce jour une peur épouvantable des chevaux qu'elle maîtrisait difficilement et dont elle ne se débarrasserait jamais tout à fait. Comme il lui manquait son ami, son frère, son amour d'enfance; ce bel adolescent aux grands yeux bleu azur qui avait su si bien à travers ses poèmes et ses bouquets de roses, la charmer mais surtout la soutenir et la réconforter tout au long des horribles moments qu'elle avait vécus chez les Legrand.

Une seule personne était parvenue à balayer le chagrin immense qui l'avait habitée pendant de longs mois après sa mort. Terrence...Terry...Ce prénom résonnait dans sa tête en un douloureux écho. Elle n'avait eu de cesse de chasser de son esprit cet aristocrate anglais, au tempérament bagarreur et aux mèches rebelles, qu'elle avait rencontré au Collège Royal de Saint-Paul à Londres, et qui avait un jour laissé son cœur en miettes. Combien d'années s'étaient-elles écoulées depuis ce maudit soir enneigé où ils s'étaient séparés sur les marches d'un hôpital de New-York ? Elle s'était résignée à ne plus les compter. Parfois, dans ses instants de doute, elle se demandait la réaction qu'elle aurait si elle le revoyait... Son coeur bondirait-il comme lors de leurs retrouvailles à New-York ? Se serrerait-il de douleur comme celle éprouvée au moment de leur rupture, ou n'éprouverait-elle qu'une réconfortante indifférence ? C'était des questions auxquelles elle ne pouvait répondre tant elle se sentait incapable de donner un véritable sens à ses sentiments pour Terry. Au cours de ces dix dernières années, alors qu'elle était installée avec sa famille en France, le souvenir du jeune homme était devenu plus diffus. A vrai dire, rien là-bas ne pouvait le lui rappeler. Terrence Grandchester était une immense vedette outre-atlantique mais n'avait pas encore conquis l'Europe. Parfois, elle découvrait dans la presse des articles faisant allusion à lui, mais cela se résumait à quelques lignes, aucune photo. C'est ainsi qu'elle avait appris son mariage avec Suzanne, deux ans après leur séparation et quelques semaines après ses propres noces.  Elle se rappelait très bien la remarque qu'Annie lui avait faite, lors de sa première visite chez elle, à Paris.

- C'est étrange comme le mariage de Terry a eu lieu peu après le tien alors que rien ne le laissait présager...  C'est comme si...

- Comme si quoi ? - avait demandé Candy, irritée. Embarrassée, Annie s'était faite hésitante.

Un passé trop présentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant