Chapitre 8

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Incapable de réagir, Albert regarda Candy s'éloigner sans pouvoir effectuer le moindre geste. Paralysé par l'émotion, glacé de part en part, assourdi par les battements de son coeur qui explosaient contre ses tympans, il lui semblait chuter dans un gouffre sans fin. Au bout de quelques minutes, il parvint enfin à retrouver une respiration à peu près normale, légèrement vacillante. La scène cauchemardesque qui venait de se dérouler sous ses yeux revenait sans cesse à son esprit : ces deux corps puissamment enlacés, le bruit du froissement de leurs vêtements écrasés l'un contre l'autre, l'empressement de leurs gestes, leurs soupirs étouffés mêlés aux baisers qu'ils échangeaient, leurs plaintes, leurs cris, et le regard enfiévré d'amour de Candy vers cet autre, cet être contre lequel il savait depuis toujours qu'il ne pouvait lutter.

Un profond sentiment de désespoir s'empara de lui car il savait au fond de son coeur qu'il l'avait définitivement perdue, que plus jamais il ne pourrait la ramener vers lui. La désolante scène à laquelle il venait d'assister était trop éloquente. Elle aimait Terry, l'avait toujours aimé et ne cesserait jamais de l'aimer. C'était une évidence à laquelle il devait se résoudre s'il ne voulait pas perdre la raison.

Pouvait-il espérer que Terry n'aimât pas Candy en retour ?!!! Malheureusement, le sort en était jeté. Ce qu'Albert avait vu ne laissait aucun doute sur les sentiments du jeune homme. Lui qui croyait naïvement être le seul en ce monde à pouvoir aimer Candy aussi intensément, ne pouvait nier la force de l'amour qui animait le bel aristocrate. Tout comme lui quand il tenait sa femme dans ses bras, il avait distingué la même hésitation dans ses gestes, le tremblement infime de ses mouvements, comme si le doux contact de Candy contre lui l'intimidait, foudroyé par le choc émotionnel que sa présence provoquait. Il reconnaissait trop bien ce genre de réactions pour les avoir éprouvées des centaines de fois, dès qu'elle s'alanguissait contre lui. Tout comme lui, il avait ressenti cette chaleur intense qui prenait possession de tout son corps, l'emballement de son coeur dans sa poitrine, s'élançant avec fureur et douleur contre sa cage thoracique, à la limite de l'implosion. Tout cela parce qu'elle venait de poser simplement son regard émeraude sur lui... Mais cette fois, il n'avait pas reconnu son regard. Il semblait le même, mais pourvu d'un éclat différent, comme une lumière céleste. Le regard d'une femme devant celui qu'elle aime, qu'elle aime vraiment...

Le dos courbé, sa haute stature affaissée sous le poids de l'émotion, Albert réprima un sanglot. Puis terrassé par le flot de sentiments contradictoires qui l'assaillaient, mêlés de colère et de chagrin, il se laissa choir contre le mur de pierres qui se trouvait derrière lui. D'une main lasse, il voulut relever une mèche de ses cheveux dorés qui lui barrait la vue, mais réalisa bien vite que c'était des larmes irrépressibles qui l'aveuglaient, brulantes et vives, creusant des sillons comme des plaies sur son visage ravagé de douleur.

Il resta ainsi un long moment, insensible aux rayons du soleil qui essayaient de réchauffer ses membres glacés. L'astre lumineux se tenait à présent gracieusement suspendu au dessus de l'horizon, allègrement détaché du mur qui ceinturait le jardin. La matinée était visiblement bien avancée. Soudain, un bruit venant de l'allée fit sursauter l'héritier des André. C'était le jardinier qui, muni de ses outils, venait réparer les dégâts de la nuit. Surpris, Albert s'accroupit, faisant frémir dans sa hâte quelques branches de la haie qui le cachait. Intrigué, le jardinier tourna la tête dans sa direction, scrutant les lieux d'un air inquisiteur. Puis comme rien ne se passait, il haussa les épaules et poursuivit sa tâche. Occupé à gratter le sol de son râteau pour rassembler les feuilles et branchages éparpillés, il ne remarqua point la silhouette sombre qui s'éloignait tout doucement jusqu'à réapparaître au bout de l'allée, disparaissant sans bruit par une porte de service. Albert ne voulait croiser personne qui puisse informer sa femme de sa présence dans ses murs. Il hâta le pas, se faufilant dans les couloirs avec la souplesse d'un chat. Il retint son souffle jusqu'à ce qu'il atteigne la sortie. Parvenu dans la rue, il rejoignit son chauffeur qui l'attendait patiemment dans la rue en contrebas, s'engouffra dans la voiture comme si on le poursuivait et disparut en direction de la demeure familiale.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 16, 2021 ⏰

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