Chapitre 7

181 10 2
                                    


Quand Terry ouvrit les yeux, il lui sembla qu'un immeuble lui était tombé sur la tête. Il ressentait une douleur aiguë au niveau du front et il y porta la main. Il sentit sous ses doigts une blessure profonde recouverte d'un liquide chaud et poisseux qui perlait le long de sa joue et lui masquait la vue. Il retira sa main et put distinguer malgré la pénombre, accentuée par la pluie battante et la fumée qui avaient envahi le wagon, qu'elle était noire de sang. Cela acheva de le sortir de son engourdissement et une pensée terrible s'empara de lui :

Suzanne !!! Qu'était-il arrivé à Suzanne ???

Il regarda autour de lui et ne discerna rien d'autre qu'un amas de ferraille et de meubles brisés enchevêtrés. Il cria le nom de sa femme mais ne reçut aucune réponse. Un frisson d'angoisse remonta de ses reins et le glaça tout entier. A tâtons, il essaya d'avancer, butant contre les débris amoncelés. Son déplacement était d'autant plus limité qu'il craignait, en bougeant des choses, que cela s'écroulât sur son épouse coincée en dessous.

Car elle ne pouvait être que là !...

Tout occupé à se dégager, il continuait à l'appeler avec l'espoir d'entendre sa voix. Il tendait l'oreille, à l'affût du moindre signe, en dépit de la tempête qui sévissait, des sifflements du vent à travers les cloisons démembrées, des cris des autres passagers qui appelaient à l'aide. Au bout de longs efforts, il parvint à sortir du wagon renversé. Autour de lui régnait un chaos qui le tétanisa. Le train s'était retourné en amont, percuté par un glissement de terrain. Sous l'effet de l'explosion de la locomotive, les premiers wagons avaient pris feu. Les flammes sortaient à présent par toutes les ouvertures, comme des plaies incandescentes, éclairant les alentours de lueurs fantomatiques. Les voitures suivantes s'étaient écrasées les unes sur les autres comme un accordéon de papier. Des corps sans vie gisaient sur le sol tandis que les rescapés s'efforçaient de secourir les blessés. Il s'avança pour demander de l'aide mais réalisa bien vite que c'était sans espoir dans cette atmosphère apocalyptique. Il ne devrait compter que sur lui-même pour retrouver sa femme. Il déchira la manche de sa chemise et s'en servit pour recouvrir l'extrémité d'un morceau de planche, la frotta à une roue du train pour en récupérer la graisse, et s'approcha des flammes pour allumer sa torche de fortune. Il repartit en courant, espérant qu'elle ne s'éteindrait pas en chemin. De retour à sa cabine, du moins ce qu'il en restait, il commença à soulever les gravats, encouragé par la lumière de la torche qui lui donnait une meilleure vision du lieu. L'inquiétude décuplait ses forces, propulsant les débris hors de l'habitacle comme de vulgaires cartons. A un moment, il lui sembla entendre un gémissement qui provenait de la gauche. Son coeur s'emballa, l'afflux de sang cognant avec fracas à ses tempes comme un marteau. Et il l'aperçut enfin, sa main d'abord, puis l'ensemble de son corps quand il parvint à la dégager. Elle gisait sur le dos, sa chevelure dorée déployée en corolle, empourprée par une flaque de sang qui l'enveloppait toute entière.

- Suzanne !!! - hurla Terry en se précipitant vers elle. Il la prit dans ses bras, la secoua maladroitement. Elle ne réagit point, la tête ballant sur le côté, comme une poupée de chiffon. D'une main tremblante, il chercha son pouls. Il battait encore, à peine perceptible. Un sentiment profond de désespoir l'envahit et il se mit à sangloter. Suzanne était en train de mourir dans ses bras et il se sentait impuissant à l'aider. Il n'osait la laisser seule une seconde de plus pour chercher un improbable secours, craignant de revenir pour la découvrir morte. Désemparé, il grogna de douleur, serrant son corps désarticulé contre sa poitrine, le berçant comme s'il eut été celui d'un nouveau né.

- Suzanne, Oh Suzanne, je t'en supplie, ne meurs pas !!!

Pendant un long moment, il resta ainsi, figé dans sa détresse. La tempête au dehors s'était un peu calmée. Seule une pluie fine clapotait à présent sur les parois du train. Soudain, il lui sembla entendre des sirènes au loin et le bruit de moteurs de véhicules qui s'approchaient. Ravivé par l'espoir, il se leva d'un bond et se dirigea vers la brèche qui donnait sur l'extérieur. Il gonfla ses poumons et hurla de toutes ses forces. Il agita les bras, appela pendant de longues minutes à s'en briser la voix. Enfin, une lumière perça dans l'obscurité et éclaira dans sa direction. Dans le contre-jour, il distingua trois silhouettes sombres qui avançaient vers lui. L'une d'elle, grande et massive, balança sa lanterne de droite à gauche puis s'arrêta sur lui.

Un passé trop présentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant