Il pleut derrière la fenêtre de ce spacieux loft, un flot de parapluies noirs coule jusqu'aux bureaux de l'autre côté de la rue. C'est un jeudi, comme les autres, le ciel pleure sur les travailleurs qui attendent le samedi midi, sans s'attrister sur leurs conditions. Devant la fenêtre de ce spacieux loft, un flot de larmes noirs de mascara coule jusqu'au pied d'Annaël. Ce n'est pas un jeudi comme les autres, ses yeux pleurent sur son visage, elle ne se sentira pas mieux samedi midi, elle connaîtra pour la première fois la tristesse de l'impuissance.
Le canapé blanc se fonce sous la salissure de l'âme de la jeune fille, elle n'est pas normale, en aucun cas, elle devrait ressentir la colère de son cœur et la vengeance de son cerveau. Elle doit seulement se contenter d'attendre le travail de la police et des autorités. La jeune fille a plus de chance que toutes les autres, la fonction de ses parents au sein du comité de direction de la société, va accélérer le travail des enquêteurs. Mais ce n'est pas ce qu'Annaël veut, elle désire savoir, pourquoi ses parents sont partis, pourquoi ils l'ont laissée toute seule, pourquoi ils se sont faits assassinés. Pourquoi ?Mais, ici, personne ne pose de questions, personne ne les justifie, le comité agit. Personne n'est contre les décisions prises, personne n'est déçu, personne ne se plaint... Toute la société attend la vision du comité sur la grandeur du prochain tableau d'affichage, les autres débats n'effleurent pas les racines de la communauté. Annaël a toujours été baignée par ces débats, ses parents étaient souvent opposés dans leur querelle de couple, ils étaient les seuls adultes qu'elle entendait se disputer. Evidemment les garçons de l'école se battaient et les filles mentaient, mais l'âge adulte fait murir et la responsabilité acquise fait oublier l'âme d'enfant, celle qui faisait rêver et rendait curieux. La curiosité qui faisait descendre Annaël, pour qu'elle aille se cacher, pour entendre leurs conversations sur des sujets qu'elle n'a jamais appris à l'école ni ailleurs.
Depuis un certain moment, elle ne s'y intéressait plus, elle n'était plus en colère parce qu'elle ne pouvait pas manger des bonbons avant de manger. Elle était d'accord avec les décisions de ses parents, comme celle des autres membres du comité. Elle acquiesçait même sans entendre la conclusion, non pas, par peur ni par obligation, pas non plus par indifférence, mais seulement parce qu'elle ne voyait pas comment ni pourquoi le comité se tromperait, c'était tout simplement inenvisageable. Eux, ils étaient différents, ils savaient ce qu'on ignorait, ils étaient supérieurs, il était dans la norme de les laisser faire, après tout, comme tout le monde ils font leur métier pour le bien de la communauté et rien d'autre. Le seul plaisir personnel auquel le comité s'adonnait, était les soirées, un samedi par mois. Annaël était toujours présente aux soirées du comité, elle y était conviée en robe de soirée exigée, mais elle était bien, ces soirées étaient différentes, le monde autour d'elle était différent, elle était différente. Ces adultes discutaient hochaient la tête, riaient et s'embrassaient, mais ce n'était pas pareil que ce qu'elle voyait dans la rue ou avec ses amis, il y avait quelque chose de spécial. C'est la première fois depuis longtemps, qu'elle y réfléchit, qu'elle réfléchit simplement. Tout a changé mais pourquoi ?
Encore une question, toutes ces interrogations sont nouvelles pour elle, elle n'y comprend rien, chaque problème en amène un autre, elle n'en peut plus, elle a mal, elle n'a jamais souffert, la douleur et la peine sont aussi toutes nouvelles pour elle, elle ne sait même pas se plaindre... Quand elle était enfant bien sûr que si, mais aujourd'hui elle ne s'en souvient plus, comme si on lui avait effacé, on le lui avait appris, ou plutôt, elle l'avait appris toute seule, mais aujourd'hui rien, plus rien. Elle a comme tout à réapprendre, mais comment faire cela aussi, aucune des personnes qu'elle connait ne peut l'aider, personne ne sait se plaindre, après tout pourquoi se plaindrait on, tout le monde est pareil, égal, a du travail, des enfants, et est respectueux, en effet le monde est parfait. Mais aujourd'hui, Annaël le trouve injuste, comment peut-elle penser cela, la seule réponse est qu'elle même soit devenue injuste.
Le monde lui était devenue étrangé depuis qu'un policier, hier soir, soit venu lui annoncer la mort des présidents adjoints du comité. Elle ne s'était pas levée du canapé, l'inconnu du monde lui empêchait, elle n'arrive pas à mettre des mots sur sa peur. Elle ne sait même pas que cela existe, pourquoi aurait ont peur, il n'y a aucun danger. Elle ne se comprends plus, elle ne voulait pas montrer cet affligent spectacle à ses amis, qui, ce matin, sont passés, ils lui délivraient le journal avec l'assassinat à la une, ce n'était pas méchant, loin de là, personne n'a de mauvaises intentions, c'est d'ailleurs la question qui obsède la jeune orpheline, pourquoi quelqu'un aurait pu tuer des membres du comité. Elle regarde le bouquet de fleur posé sur la table en verre, sa marraine lui a apporté ce matin, comme si elle fêtait son anniversaire. C'est son premier jour dans sa nouvelle vie. Selon les médias et ses proches, toute source de réconfort, elle devrait être fière, mais fière de quoi ? Jamais au grand jamais, elle avait remis en question un point de vue de quelqu'un, à quoi cela aurait-il bien pu servir ?
Elle ne se reconnait plus, elle ne peut plus supporter sa nouvelle personne, elle ne sait pas ce qu'elle ressent, elle est incapable de mettre ses propres mots. Comment peut-elle s'en sortir, elle a besoin d'aide, comment l'obtenir ? Toutes les questions s'introduisent de force dans sa tête, mais c'est dans son cœur que se trouve la solution. Elle prend un stylo sur la table en verre, hésite avant de gratter quelques mots. Puis elle se lève, se glisse au bord de la fenêtre, admire la pluie qui s'abat sur les corps humains rentrant du travail, elle met le pied dehors, elle se faufile sur le balcon, elle se débat entre l'envie de rentrer de trouver une solution plus responsable et celle de s'abandonner à l'immaturité et à l'irresponsabilité en s'écrasant par terre, séparant la foule. Elle n'a jamais dû faire un choix et en subir ses conséquences, mais c'est une nouvelle vie qui commence...Elle s'approcha de la barrière, de la limite, et se jeta, sans réfléchir, comme une enfant qui apprend à vivre avec des expériences plus ou moins dangereuses.
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Chère société,
Comme il est mon devoir de faire, je vous fais part de ma décision de m'exclure. J'en ai besoin pour mon bien être, ainsi que pour être efficace dans mon rôle pour la communauté, je m'excuse de tout ce désagrément engendré par mon acte. Je sais que j'aurais dû en parler au comité, mais pour ne pas les surmonter de travail après la perte (de mes parents) des présidents adjoints, j'ai cru, même si je sais que je n'aurais pas dû le décider, que mon devoir était de vous épargner mon âme abimée par l'assassinat de mes parents. Ensemble nous aurions pu trouver une solution, mais je dois trouver la solution à la question qui m'obsède depuis hier "Pourquoi meurt-on ?"
Je souhaite le meilleur des travaux à nos enquêteurs, je n'espère ne pas leur avoir rendu leur travail plus difficile qu'il n'était. Mes respects pour les dirigeants ainsi que pour l'entière communauté. Veuillez encore m'excuser mais je dois savoir pourquoi mes parents sont morts et pourquoi nous mourrons tous ?
J'espère arriver à ma quête autant que je souhaite longue gloire à la société.
Vive le comité et vive la communauté
ZENDA Anaëlle
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Un Thon Volant?
Science FictionAnnaël est une jeune fille normale dans un monde étrange ou bien est ce un monde normal et elle qui serait étrange... Où est la frontière de la normalité...la couleur des cheveux? Ici tout le monde a les cheveux chatains, personne ne porte de lunett...