PROLOGUE

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Quand mon esprit s'égare, il me ramène souvent vers mon enfance dans notre manoir de vacance situé dans la campagne du Hertfordshire. Une époque où j'étais encore jeune, naïf et innocent. Une époque où je ne me rendais pas compte de la noirceur qui m'entourait, me guettait, attendant le moment où elle pourrait enfin m'engloutir.

J'aimais ce manoir. Surtout le jardin qui l'entourait. À l'arrivée du beau temps, ma mère et moi avions pris l'habitude de nous asseoir sous un grand chêne pour lire de la poésie. Elle aimait la poésie et j'aimais la voir réciter ces vers qu'elle aimait tant. Elle disait que la poésie était dotée d'une sensibilité peu commune.

Si tel est le monde où nous sommes,

Si l'arbre et l'oiseau sont heureux,

Ai-je tort de plaindre les hommes,

Songeant aux maux créés par eux ?

Un poème de ce cher William Wordsworth. Mère aimait les poèmes qui remettaient en question la nature humaine. Elle disait souvent que Dieu avait pitié de nous, qu'il était vain d'implorer sa miséricorde. Elle disait que la seule chose en laquelle elle avait foi était la poésie. Qu'il n'y avait qu'elle qui pourrait sauver son âme. J'étais jeune à l'époque, je ne saisissais pas encore l'ampleur de toutes les confidences qu'elle me faisait.

Je ne voyais que la beauté de ma mère qui rayonnait un peu plus à chaque nouveau vers qu'elle lisait sous ce chêne. Ses longs cheveux bruns prenaient une teinte miel sous le soleil, et sa peau nacrée s'illuminait d'un teint halé. Mère portait souvent de longues robes fluides en mousseline de soie de tons pastel. Dans mon regard d'enfant, sous ce chêne dans ce grand jardin, Mère ressemblait à un ange.

J'aimais ce manoir. Il était en quelque sorte mon Paradis, mon havre de paix. Jusqu'à ce qu'Il ne le transforme en Enfer. Ou peut-être en a-t-il toujours était ainsi ? Mère était-elle un ange prisonnière d'un Enfer fait d'un feu qu'Il avait créé et que j'alimentais jour après jour ?

Ce manoir marque une fin, mais aussi un commencement. On dit qu'on ne peut échapper à son destin. Mère le savait. Elle savait ce qui l'attendait. Et je suis certain qu'elle savait quel homme que j'allais devenir. Mais qui sait ? Peut-être que les choses auraient pu se dérouler différemment.

Pour moi.

Pour eux.

Pour nous.

Comme le dit Dante dans le Purgatoire, « Le ciel est le principe de vos mouvements, je ne dis pas de tous ; mais, le dirais-je, une lumière vous est donnée pour discerner le bien du mal, et aussi une volonté libre. ».

Suis-je le mal ? Est-ce que j'apporte du bien ? Qu'importe. Maintenant je sais. Je ne resterai plus dans l'ombre.

Je suis la lumière.

Je suis Victor Frankenstein.

GLORIOUS HORRORSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant