III • LE LABORATOIRE

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Je déteste me l'avouer, mais ma discussion avec Henry Jekyll m'a profondément perturbé. Une fois rentré chez moi, j'ai donné de quoi se restaurer à Isis avant de m'enfermer dans mon bureau. Je n'ai plus touché cette lettre depuis des semaines. J'ai presque oublié son fantôme qui me hante nuit et jour. Comment cet homme que je ne connais pas a-t-il réussi à faire remonter toutes mes angoisses.

D'une main tremblante, j'ouvre le tiroir de droite de mon bureau. Une enveloppe jaunie par le temps est posée sur une pile de feuilles noircies d'écritures. Certaines sont plus anciennes que d'autres.

Je me sens comme sous l'emprise de la drogue dans je prends l'enveloppe dans les mains. Je ne sais pas combien de temps je reste à la regarder sans rien faire, mais je fini pas l'ouvrir pour en sortir les deux pages contenant le message qui a chamboulé mon existence. Je regarde les lettres finement tracées sans pour autant les lire. J'ai tellement lu et relu cette lettre que le papier est devenu mou et froissé. Je replis soigneusement la lettre et la remet dans l'enveloppe que je pause à côté de mon sous-main en cuir. D'un geste mécanique, je sors des feuilles vierges, une plume et un pot d'encre.

Je commence à réécrire la lettre. Mot pour mot. Je l'ai fait tellement souvent que je n'ai même plus besoin de m'en servir comme modèle. La première fois que je l'ai recopiée, c'était quelques heures après l'avoir lu. J'avais besoin de ressentir ces mots au plus profond de mon être. Les premières fois, je ne pouvais m'empêcher de pleurer sous la force de l'émotion. Puis la tristesse s'est transformée en haine. Réécrire cette lettre me permet de ne pas oublier mon objectif, me permet de ne pas oublier l'origine de ce mal. Cette lettre m'a donné l'ambition de l'impossible. Cette lettre m'a permis d'accepter qui je suis vraiment.

Je sors de ma transe d'écriture quand j'entends des grattements à la porte. Je ne sais combien de temps de suis resté assis là, à réciter cette lettre par écris, mais je vois une quinzaine de feuilles noircies devant moi. Je les rassemble en tas avant de les ranger dans le tiroir de droite du bureau avec leurs semblables. Je pose ensuite délicatement l'originale enveloppée au sommet de la pile.

Je ferme le tiroir en espérant ne plus l'ouvrir avant longtemps.

En ouvrant la porte, Isis m'accueille en remuant la queue tout en parcourant mes mollets de sa truffe. Je pourrais presque voir l'amour qu'elle me porte dans ses pupilles blanches. Si Dieu existe, je le trouve bien cruel d'avoir donné une si douce créature à un maitre tel que moi, et celui qui m'a précédé en la laissant pour morte sur le bas-côté de la route.

Mes yeux se posent sur mon reflet dans le miroir baroque posé sur une console en émail dans le couloir. Je sais que mon visage n'exprime aucune émotion à cet instant. Le reflet, lui, me sourit d'un air sombre, comme s'il savait ce que le destin me réserve. C'est toujours comme ça. Dès que je me replonge dans cette lettre, tous mes démons me rattrapent, me rappelant qu'ils ne sont jamais loin de moi.

Oh Victor... Saisis-tu seulement la noirceur de ton esprit ?

Après de longues minutes à parlementer, Henry m'a convaincu de le suivre vers sa mystérieuse destination à la fin du cours du professeur Carriford. Selon lui, il aurait trouvé « le lieu parfait pour nos recherches ». Henry est une personne des plus difficiles à cerner. Avec son caractère extraverti, calculateur et parfois excentrique, on ne sait jamais à quoi s'attendre avec lui. La seule chose dont je suis certain avec lui, c'est qu'il ne faut pas sous-estimer son intelligence.

Comme si le fait que je puisse refuser de l'accompagner ne lui avait même pas effleuré l'esprit, une diligence attelée de deux chevaux bruns parfaitement soignés nous attendaient à la sortie de l'université. Le cochet nous ouvre la porte de la voiture, attendant que nous prenions place. Pendant tout le trajet, Henry ne cesse de parler de ses débauches des jours précédents, m'incitant à me joindre à lui la prochaine fois. Je me contente d'hocher la tête en regardant les rues assombries par le temps gris défiler dernière la fenêtre. Le paysage change et devient plus sauvage lorsque l'on arrive à la sortie de ville.

GLORIOUS HORRORSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant