LUCAS.

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Un soupir s'échappe de ses lèvres alors que la douleur se dissipe peu à peu dans son corps. Il peut remercier le produit nocif qu'il vient de s'injecter dans les veines. Une dose de plus pour oublier. Une dose de plus pour danser une valse avec la mort. Un jour ou l'autre, il savait bien qu'elle viendrait le chercher pour ne plus le laisser. À force de flirter avec la Grande Faucheuse, il avait fini par développer une affinité avec elle. Alors, assis là, dans ce bâtiment abandonné, il laissait un sourire fou orner ses lèvres alors qu'il oubliait peu à peu tout ce qui faisait de lui un être humain. Oublier les coups qu'on lui avait assené, les coups de rein qu'on lui avait infligé. Oublier jusqu'à son nom et son identité.

C'était dans ses moments-là qu'il se sentait le mieux. En harmonie avec son corps quasiment mort. Il aimait tellement cette sensation de ne plus avoir de prise sur son enveloppe charnelle, comme si son esprit s'en échappait pour se regarder d'au-dessus. Ce corps trop bien foutu uniquement utile dans son travail, ce visage finement dessiné uniquement utile dans sa recherche de drogue. Il vivait chaque jour comme si c'était le dernier, se demandant à chaque dose si elle serait la dernière.

Il était habitué à user de ses charmes pour obtenir ce qu'il voulait. Son slim en simili cuir moulait à la perfection ses longues jambes et ses fesses attiraient l'attention sur lui. La pierre brillante à son nombril attirait les regards sur son ventre légèrement découvert dont les abdominaux finement musclés donnaient majoritairement envie d'être caressés. Ses cheveux noirs remontés à l'aide de gel dégageaient un visage d'une extrême beauté. Une beauté presque irréelle. Ce qui en soit, n'était pas tout à fait faux. Mais depuis trois ans qu'il était dans la rue, il n'avait eu d'autres choix que de vendre son corps pour s'en sortir. Finissant par tomber dans la drogue. Et il avait besoin de l'un pour l'autre. Un infini cercle vicieux dont il ne pourrait jamais sortir. Le genre de cercle qui ne prend fin qu'à la mort. Alors, il avait entrepris de flirter avec elle et aujourd'hui, elle ne lui faisait plus peur au contraire de ses huit ans. Il avait dû affronter la dure réalité de la vie. Mais, comment aurait-il pu faire autrement ?

Et il se sent peu à peu redescendre, reprendre peu à peu possession de son corps. Et de sa douleur. Il aurait voulu s'injecter une nouvelle dose mais il savait qu'il fallait qu'il la garde précieusement, chaque dose étant un mets précieux. Il ne pouvait pas se permettre de les utiliser sans un minimum de réflexion. Son précieux nectar ne courrait pas les rues, tout de même. Et puis, il sait. Il sait qu'il en aura besoin ce soir. Il sait qu'il la quémandera cette nuit, après avoir encore subi les assauts de ce type, ce fou avec son couteau.

Le problème, c'est qu'il payait bien et qu'il ne pouvait pas faire son difficile. Alors, il encaissait jusqu'à pouvoir s'évader dans les méandres des limbes où l'envoyait directement sa dose. Alors, il se relève avec difficulté, se traînant avec douleur jusqu'à l'épicerie un peu plus loin et s'achète à manger. Une maigre collation pour ne pas s'évanouir. Ils détestent ça, qu'on leur fasse faux bond et qu'on leur tombe dans les bras. Ils payent alors, ils veulent du service.

Une nouvelle fois, il se retrouve là, peu couvert dans la fraîcheur du mois de décembre. Il attend la voiture qui l'amènera dans un motel miteux où un inconnu payera pour obtenir ce qu'il n'est pas capable d'avoir naturellement. Mais, il ne dit rien, il attend, arpentant la rue pour ne pas mourir de froid sur place. Il lorgne sur la vitrine du magasin d'en face, là où repose un manteau qui semble très chaud sur un mannequin qui n'en a aucune utilité. Et il aimerait tellement le porter à sa place. Mais il n'en a pas la possibilité. Il n'en a pas les moyens. Alors, il continue de l'admirer, essayant de se persuader qu'il n'a pas si froid que ça.

Une voiture s'arrête à son niveau. Un 4×4 qu'il n'a jamais vu dans le coin. Il s'approche alors de la portière, replaçant son masque de luxure. Il se penche à la fenêtre pour découvrir trois jeunes hommes qui semblent de bonnes familles. Trois. Ça promettait une longue soirée. Mais l'un d'eux prend la parole, le coupant dans ses pensées.

L.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant