Érine se réveilla doucement, avec son nouveau réveil qui, en plus de sonner, dégageait une odeur différente chaque matin. Aujourd'hui, l'arôme de la menthe lui chatouillait les narines, la journée commençait bien. Érine n'avait pas des habitudes courantes le matin en se réveillant. Elle n'allumait pas la lumière, n'hésitait pas un quart d'heure pour choisir la couleur de ses vêtements, et ne passait pas un long moment devant la glace pour soigner son apparence. Elle ne faisait pas tout cela pour la simple et bonne raison qu'elle était aveugle et qu'elle considérait ces gestes du quotidien inutiles. Ses parents avaient insisté pour qu'elle les effectue, afin de ressembler un peu plus aux autres filles de quinze ans, mais ils avaient abandonné face à son entêtement.
La jeune fille descendit manger sans sa canne, elle connaissait de toute façon par cœur le chemin.
Érine sentit son père arriver derrière elle. En effet, elle n'entendait pas les gens, elle les sentait.
Parce qu'elles ont perdu la vue, les personnes aveugles développent en général tous les autres sens : l'ouïe, l'odorat, le toucher et le goût. C'est ce qui était arrivé à Érine, sauf qu'elle avait particulièrement aiguisé son odorat, au point où elle reconnaissait chaque personne et chaque chose à son odeur. C'était presque un don, elle arrivait même à reconnaître les individus changeant de parfum tous les jours, ou ceux qui n'en mettaient pas du tout. Un jour, ses soeurs s'étaient amusées à échanger leur parfum pour qu'elle les confonde. Leur mauvaise blague n'avait pas du tout marché, Érine les avait tout de suite reconnues. Les deux soeurs s'étaient faites punir par leurs parents, ces derniers ayant tendance à surprotéger leur troisième fille ; ce qui, d'ailleurs, l'agaçait fortement.
« -Au revoir papa ! s'exclama la jeune fille.
-Bonne journée, et surtout fais attention en allant au lycée ! » lui répondit son père.
En sortant de chez elle, elle savoura sa victoire: elle avait enfin pu convaincre ses parents de la laisser aller au lycée toute seule. Jusqu'à ce jour là, ils se sentaient obligés de l'accompagner tous les jours, encore une chose qu'ils ne faisaient pas avec ses sœurs.
Sur le chemin, l'adolescente retrouva toutes les senteurs qui faisaient partis de son quotidien, elle les connaissait par coeur: le poisson du marché, les fleurs du parc, le gras du kebab... Elle pouvait s'orienter juste avec son nez.
Après une journée fatigante au lycée, elle reprit la même route, mais quelque chose la perturba. Du lycée jusque chez elle, elle avait l'impression que quelqu'un la suivait. Le parfum très sucré de cette personne laissait croire que c'était une femme, mais celui-ci était si fort qu'il dissimulait l'odeur corporelle. Elle essaya de l'ignorer, avec beaucoup de difficulté. Toute la nuit cette odeur qui était restée dans ses narines l'empêcha de dormir.
Le lendemain matin, elle reprit non sans crainte la route pour le lycée. Soulagée, elle ne retrouva pas cette odeur qui la tourmentait. Elle mit la mésaventure de la veille sur le compte de la fatigue, étant persuadée que c'était juste une hallucination. Elle n'y pensa plus de la journée.
Le soir, c'est avec surprise qu'elle sentit cet arôme qui l'avait tant bouleversé. Moins perturbée par l'odeur de l'Inconnue, elle fit plus attention cette fois au bruit de ses pas sur la chaussée. Elle en était maintenant persuadée: c'était une femme. Elle n'osa pas lui parler, et l'ignora encore une fois.
Érine dut attendre tout le week-end avant de revoir l'Inconnue au parfum sucré. Le lundi, elle était toujours là, comme si elle l'attendait. Le soir, dans son lit, Érine commença à avoir peur : et si la mystérieuse personne était mal intentionnée ? Et si elle voulait profiter de son handicap pour lui faire du mal ? Quand elle la retrouva le lendemain soir, elle repoussa de suite cette possibilité. Elle avait cette aura, douce, qui contrastait avec son parfum si fort. Cela devait certainement être pour cacher sa sensibilité que l'Inconnue utilisait ce parfum. Elle la laissa donc l'accompagner tous les soirs pendant une dizaine de jours, sans qu'Érine ne change quoi que ce soit.
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Un Sens En Commun
Short StoryÉrine est aveugle. Elle rentre tous les soirs de chez elle à pied, avec l'Inconnue. Cette mystérieuse personne, avec un parfum aussi bouleversant que son histoire. Cette nouvelle a été écrite dans le cadre d'un concours de nouvelles dans mon lycée.