Partie 2

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Un jour elle décida de lui parler. L'Inconnue l'intriguait, elle voulait en savoir plus sur elle. Après le lycée, quand elle la sentit arriver derrière elle, elle se retourna en se présentant :

« Bonjour, je m'appelle Érine, et comme vous l'avez sûrement devinée je suis aveugle : c'est bien pour cela que je porte des lunettes de soleil ainsi qu'une canne. »

L'adolescente n'eut aucune réponse.

« Et vous, comment vous appelez vous ? » elle retenta.

L'Inconnue ne semblait pas décider à lui répondre, elle la sentait pourtant bien à côté d'elle. Déçue, elle continua son chemin en silence. Elle s'était pris la tête pendant des heures pour savoir comment elle allait l'aborder, elle s'était imaginée des dizaines de scénarios ou l'Inconnue lui expliquait pourquoi elle effectuait le même trajet qu'elle, pour finalement ne recevoir aucune réponse.

Elle ne réessaya pas de lui parler, trouvant finalement sa présence suffisante.

Érine arrivait à cerner une personne juste par son odeur. C'était l'avantage de ne pas voir : elle ne se faisait jamais avoir par les apparences, elle n'avait aucune idée si la personne avec qui elle parlait correspondait aux critères de beauté de la société, et n'en avait de toute façon rien à faire. Elle ne comprenait pas pourquoi les gens autour d'elle apportaient autant d'importance à l'apparence, à la mode, pourquoi ils dépensaient autant d'argent dans le seul but d'avoir une belle image. Ses amis, camarades de classe, n'acceptaient pas sa vision des choses. Ils disaient qu'elle ne pouvait pas comprendre, elle qui était aveugle. Érine détestait qu 'on l'a réduise à son handicap, qui pour elle n'en était même pas un. Elle avait toujours vécu comme ça, et c'est sans doute pour cela qu 'elle ne s'en plaignait pas.

La seule chose reliée au fait d'être une « non voyant » qui l'irritait était la pitié des autres. Sa hantise dans la vie de tous les jours était qu'on l'approche, que l'on soit gentil avec elle juste pour avoir bonne conscience. Elle n'aimait pas avoir un traitement de faveur comme ses parents le faisaient avec elle. Au début de chaque année scolaire, elle allait voir ses nouveaux professeurs pour leur dire qu'elle voulait qu'ils la considèrent comme n'importe quel élève et qu'il n'était pas question qu'ils soient plus indulgents avec elle. Elle choisissait même ses amis par rapport à cela.

Érine n'avait vraiment pas l'impression que l'Inconnue fasse partie de ces gens hypocrites, qui, sans le vouloir, lui pourrissaient la vie. Elle était certaine que c'était quelqu'un de sincère, même si elle n'avait jamais eu de conversation avec elle. Cela pouvait paraître risqué de faire confiance aussi facilement à une personne, mais étrangement elle se fiait parfois plus à l'odeur de quelqu'un qu'à ses paroles.

Tous les soirs elles rentrèrent donc ensemble, comme si c'était normal et qu'elles se connaissaient depuis toujours. Érine ne faisait même plus attention au parfum beaucoup trop sucré de l'Inconnue, elle commençait presque à l'apprécier.

Un soir, la jeune fille était énervée contre la terre entière, à cause d'une de ses amies. L'Inconnue ne parlant jamais, elle devint le bouc émissaire.

« Pourquoi tu ne parles pas, tu as peur de moi, c'est ça ? » elle s'exclama avec véhémence.

Elle n'eut pour réponse que le silence éternel de l'Inconnue.

« Eh bien, tu as raison, parce que les gens croient toujours que je suis faible, mais c'est faux ! Je suis bien plus forte que vous tous, les gens hypocrites qui ne sont même pas capable de dire ce qu'ils pensent ! Toi aussi, tu es de ces personnes là, n'est-ce pas ? »

Érine partait dans tous les sens, ce qu'elle criait ne voulait plus rien dire tant la colère avait pris le dessus.

Soudain l'Inconnue posa avec douceur sa main sur l'avant-bras de la jeune fille. Érine se calma immédiatement, c'était le premier contact physique. Un sens en plus rapprochait les deux femmes. Après l'odorat avec son parfum, et l'ouïe avec le son de ses pas, il y avait maintenant le toucher avec la main sur le bras. L'Inconnue lui prit la main pour l'emmener dans une partie de la ville qu'elle connaissait très peu. Érine se laissa être guidée, elle n'avait ni la force ni l'envie de se méfier. Elles entraient dans un parc, quand d'un seul coup Érine fut paralysée. Une centaine d'odeurs différentes l'avaient frappé de plein fouet. C'étaient principalement des fleurs ou des arbres. Les deux femmes se trouvaient dans un jardin botanique.

Érine commença à marcher vers chacune des odeurs en murmurant le nom de la plante. Elles restèrent ainsi plus d'une heure dans ce parc, jusqu'à ce que la nuit commence à tomber. L'Inconnue raccompagna Érine chez elle, et quand elles se quittèrent la jeune aveugle souffla un « merci ».

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