1: Naissance

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Un être, générique, seul et sans singularité, comme tout le monde ou plutôt n'importe qui, indéfinissable en dehors de tout ce qui caractérise l'humain : Mono. Ni grand ni petit, ni barbe ni seins, ni moche ni beau, la personne neutre. Bien qu'il ait pu être comme tout le monde et ressembler à n'importe qui, Mono avait seulement cette particularité peu commune dans l'histoire de l'espèce humaine : Il vivait complètement seul dans son environnement. Sans famille, compatriotes, amis, ennemis, ni même une plante ou un animal, le monde de Mono était fait de salle blanche, de portes sans moulures, de fenêtres donnant sur un invariable brouillard épais, sans couleurs, et de lampes LED incrustées au plafond diffusant une clarté blafarde.

Mono ouvrait les portes les unes après les autres, déambulait de salle en salle. L'une d'entre elles était plus grande, avec une fenêtre sur la gauche et une autre porte sur la droite. Il regarda par la fenêtre, et vit le brouillard. Une espèce de lueur gourmande naquit. Il prit la porte suivante. Un long couloir, avec une porte au bout. Il atteignit le couloir, tenta d'ouvrir la porte suivante mais elle était fausse. Il fit alors demi-tour, d'un pas plus, lent, beaucoup plus lent, ralentissant. Et s'il avait déjà découvert entièrement son monde ? Rien ne lui avait échappé ? D'après lui c'est sûr, il était passé à côté de quelque chose. Il ouvrit la porte précédente et, avec elle, une nouvelle salle : Une hauteur de plafond céleste, une superficie au sol à perte de vue, des piliers octogonaux innombrables. Une vision qui porte à croire qu'un temps sans fin ne suffit pas à explorer le monde. Il savourait son avancée, les yeux dans le prolongement des piliers parfaitement similaires, cherchant l'erreur, le défaut, la nouveauté. Il trébucha. Baissant brusquement le regard, il remarqua une trappe au sol. Il ouvrit la trappe d'un geste fébrile et descendit l'escalier d'un pas innocemment excité. Il atteignit un couloir avec une porte, qu'il ouvrit tel un coffre à trésors.

La pièce était de taille moyenne, forme carrée, porte donnant sur un mur avec en son centre, un miroir. Incroyable spectacle : Il voyait en face de lui un être humain. Son premier réflexe fut d'essayer de communiquer avec lui, en geste puis en parole inventées. Après plusieurs essais, il remarqua que quelque chose ne correspondait pas. Son interlocuteur faisait tout comme lui, exprimait strictement les mêmes mimiques. Le doute se confirma quand il dit une phrase, et qu'il vit l'autre mimer sans n'entendre rien d'autre que sa propre voix. Il toucha le miroir, et son contact sans chaleur renforça son hypothèse. C'est alors qu'en guise de test infaillible, il fit un geste qu'il croyait être le seul à pouvoir faire. Voyant l'autre faire la même chose, Mono conclut avec une déception mitigée qu'il venait de découvrir son reflet. Il regarda ses mains, son corps et prit conscience de lui-même. Il devenait plus qu'un simple spectateur. Une mignonne petite forme intangible et noire commença à l'imiter à son tour et ne le quittera plus jamais.

Une petite balle apparue dans la main de Mono. Il roula son regard sur sa surface intégrale. Un fois ayant fini d'observer longuement sa rondeur lisse et uniforme, il la laissa tomber, rebondir, la rattrapa, recommencer... Il essaya en la lançant sur le mur, la reprenant aussitôt. C'est marrant, elle ne rebondi pas toujours pareil, ça change selon la force, la trajectoire, la façon dont on la lance. Interagir avec elle : Quel pied ! Faut vraiment dire que ça l'amusait longuement, car il continuait ainsi jusqu'à observer à un degré supérieur l'influence dont il était capable. Apprendre le divertissait depuis toujours, mais maitriser quelque chose de plus que soi l'enivra jusqu'à ce que la balle fracassât le miroir en mille morceaux dans un bruit déchirant le silence. Mono contempla son reflet démultiplié, son œuvre et avec elle, cette évidence : Il pouvait transformer, influer, contrôler ce qui l'entoure, jusqu'à détruire. Il se baissa pour tenter de ramasser un bout de miroir, un trophée, un témoin de son pouvoir. Il se coupa en attrapant l'éclat. Accompagnée d'une vive douleur difficile à ignorer, une taillade à la main commença à faire couler son sang. La leçon lui passa temporairement l'envie de jouer. Même si sa main ne s'éparpillait pas en multiples petits bouts tranchants et cassant comme la glace, voir le sang affluer ainsi revenait à voir un peu de soi nous quitter dangereusement. Non sans réflexion, Mono ne trouva pas de meilleur moyen pour stopper l'hémorragie que de patiemment sucer la plaie. Heureusement pour lui, la blessure était superficielle, et finit par cesser de couler avant que Mono ne s'évanouisse. Ce qui l'entourait pouvait être transformé ou détruit, mais lui pouvait l'être tout autant. Malgré ces ardeurs exploratrices réprimées par cet évènement, il tourna les talons afin d'y trouver une salle particulière.

Immense, la salle était vaste, un monde. Il arpentait cet endroit rempli de différences et de similitudes. Tantôt des rampes, des descentes, tantôt du plat. Tantôt des piliers, tantôt un horizon vide. Tantôt des espaces étroits, tantôt des murs très éloignés. Mono n'avait pas revu une porte depuis bien longtemps. Sa blessure avait coagulé, mais son avancée se fatiguait. Il se vit même obligé de s'arrêter, mais pour cette première fois par besoin. C'est alors qu'il remarqua un petit cube blanc, suspendu à un pilier. Il n'était pas dur, et dégageait une odeur appétissante. Le ventre de Mono gargouilla, et il eût l'étonnante envie d'y rentrer ses dents. Il essaya sur un bord et le plaisir procuré lui donna l'ordre de l'ingérer entièrement. A peine avait il finit que le souvenir de ce plaisir lui demanda de recommencer avec un autre cube. En faisant le tour du pilier, il en trouva un autre, puis un autre, couru après un autre cube qui glissait sur le sol... Il continua de manger, le plaisir qui en découlait s'étiola, pour faire place à la satisfaction. Son instinct marchait à plein régime. Il eut maintenant la gorge sèche, et vit un minuscule geyser de liquide transparent et froid. Comme pour les cubes, il y porta sa bouche, l'humidifia puis laissa rentrer la substance pareillement agréable. Libéré du dictat de la soif et la faim, son avancée retrouvait le sourire. Cependant, la luminosité ambiante baissait peu à peu. Mono voyait de moins en moins ce qui l'entourait. La pénombre s'épaissit jusqu'à lui imposer un nouvel arrêt. Enfin, toutes lumières s'estompèrent et ces yeux prirent leur exemple malgré lui.

Mono ou La peur de vivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant