4 : Décadence

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Le lendemain, Mono ouvrit ses yeux. Il lui fallut un certain temps pour se lever, sa tête continuait de tourner et un mal de crâne lui tenaillait le cerveau. Il reprit ses esprits, ses ombres reprenait leur forme de reflet. La gueule de bois devint distante, et il vit l'une de ses deux ombres s'approcher de la porte contre laquelle il avait lutté encore, et écrire un mot. Raccourci. C'en était trop pour lui : « Tu vas me dire ce que tu me veux à la fin, et maintenant. » et l'ombre ne répondit que par un mot « Abandonne. » Sa première ombre fondit sur l'autre, et toutes deux se mirent à se battre. Leurs voix résonnèrent dans sa tête en un caustique condensé des pires mots d'angoisses vous consumant l'esprit. On voyait bien les deux ombres se tabasser entre elles comme celle projetées par un feu de cheminée, mais c'est Mono qui brûlait. Il prit sa tête dans les mains, boucha ses oreilles pour ne plus les entendre. Alors il bu, mangeât, bu, mangeât... Renouvela son ivresse pour les calmer. Il avait déjà pris du poids, ses yeux placardaient des cernes profonds sur son visage. Lassé de s'intoxiquer pour calmer ses ombres, il prit une nouvelle marche, parcouru quelques couloirs, salles de différentes tailles, avec portes, fenêtres... Toutes similaires, toutes différentes. Pendant un moment, il essaya d'arrêter de penser au macchabé, que le pire était derrière lui. Ses deux suiveuses s'étaient calmées, marchait plus docilement derrière lui, jusqu'à ce qu'il prît une pause. C'est toujours quand il s'arrêtait que ces ombres s'agitaient le plus.

1ere – Et si jamais tu retombais sur la salle circulaire ?

2eme – Il n'aura qu'à prendre le raccourci.

1ere – On s'en torche de ton raccourci ! Mono n'a pas fait tout ça pour rien !

2eme – Oh bien sûr ! Mono à mal nulle part, ce n'est pas devenu un gros drogué au cube blanc, l'ascension de l'escalier était un vrai régal, et te battre était pour lui un vrai moment de délice. Ce serait dommage de se priver de toutes ces bonnes choses qu'offre la vie.

1ere – Parce que t'es meilleur que moi ? Tu veux le tuer !

2eme – Je ne veux que son bien, il en a marre de souffrir.

1ere – « Son bien » Mon cul ! Tu veux l'empêcher de souffrir en l'empêchant aussi de prendre du plaisir.

2eme – Tu vois un peu le résultat quand il prend du plaisir ? Regarde-moi ce camé maintenant !

1ere – C'est sûr, mais c'est toujours mieux que Jean-Michel la planche qui ne se réveille pas là-bas sur son autel !

2eme - Pas tant que ça je trouve. Lui il a l'air paisible, il n'a pas d'ombres, ne souffre plus. Et laisse-moi te faire remarquer que Mono lui ressemble beaucoup après les moments où il se goinfre.

1ere – Au moins il choisit de se réveiller ! Il baigne pas dans une magnifique lumière en n'en ayant rien à foutre. Quel gâchis ! Cette vision me dégoute bien plus que de le voir s'empiffrer.

2eme - Moi elle me séduit.

Mono – Fermez-là tous les deux ! Jamais je ne lui ressemblerais !

1ere – Yeah ça c'est mon hôte ! Ne suis pas l'autre abrutie et tu seras heureux.

2eme – Ne suis pas l'autre abrutie et tu arrêteras d'en chier pour rien, et en plus il y a un petit avantage : c'est beaucoup plus rapide !

1ere – Et comment tu sais qu'il va « en chier » absolument toute sa vie ?

2eme – Et toi ? Comment tu sais s'il ne va pas finir de toute façon comme Jean-Michel la planche ?

Mono – Fermez-la putain !!

Mais les voix dans sa tête ne se dissipaient pas. Il atteignit une porte de plus, une fois encore sur cette maudite salle circulaire et le mort, et son lot de chocs mentaux renouvelés. Une autre porte apparue à côté de lui. Il se sauva. Il continua d'arpenter de nouveaux couloirs, toujours incolores, aux lumières fadasses. De temps à autres, Mono croyait voir des ombres aux détours de couloirs, entendre des bruits dans des salles résonnantes. Quand ça lui arrivait, il faisait tout pour attirer l'attention sur lui, mais rien et surtout personne, ne réagissait. Sa première lui demanda : « Pourquoi tu veux te faire remarquer ? Et si ça te voulait du mal ? » et Mono exprima un sentiment inédit : « J'en ai marre de vous, j'aimerais parler à autre chose qu'à moi-même, à quelque chose qui me réponde. ». Sa deuxième ombre proposa : « Tu sais que je suis toujours là si tu as besoin de moi... ». Non, l'idée de céder à l'abandon ne lui plaisait guère. Il arriva dans un couloir particulièrement riche en échos. Le bruit de ses pas lui fit croire en une autre présence, il accéléra, tant et plus, pour le rattraper. La porte semblait s'être fermée juste avant qu'il arrive. Il l'ouvrit ! La même salle. Circulaire. Une autre porte, vite ! Toujours plus de couloirs, de pièces, de sas. Encore des bruits, des ombres. Etaient-ce vraiment celles d'un autre ? Encore et toujours les siennes ? Y avait-il quelqu'un d'autre que lui ? Voyait-il vraiment ces ombres comme celles de quelqu'un d'autre ? Des illusions ? Désillusion. Encore une fois, la salle-cercle, l'autel, le raccourci, et le même visage froid. L'inacceptable visage. La première ombre lui posa : « Au moins si tu es seul, personne ne pourra te faire de mal. », quant à la deuxième... Sa texture était profonde, sa forme dégoulinait sur elle-même, mais tout cela n'était pas aussi toxique que ses mots : « Tu es parfaitement seul, tu ne sers à rien et surtout à personne. Tout ce que tu as accompli ne sera retenu de qui que ce soit. Ta vie est absurde, elle n'aura pas d'autre fin que celle dont tu es témoins. Prends le raccourci, ta destination est la même. »


Mono ou La peur de vivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant