Une première

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J'avais treize ans lorsque ça s'est passé. Le pas où je suis devenu femme. Celui où j'ai compris ce qu'allait être mon futur. Prête à l'affranchissement.

J'attend sur ce banc. Le gel du mois de février refroidis le parc, les arbres, les feuilles, la terre, les chemins. Il y a très peu de gens, si bien que seulement le vent frémis. Des enfants jouent plus loin, derrière. Ils gazouillent pendant que les parents s'impatientent. C'était blanc. Les nuages projettent une lumière fade. Le vent fait bruisser les feuilles.

Il est là. Marchant lentement, il s'approche. De loin je vois l'éclat de ses yeux, son sourire en coin. Je n'ose pas le regarder. Je me sens si faible, si petite. Lentement, il s'asseoit, près de moi, à côté de moi. Il tremble, il a froid. Il est détendu. Il engage la conversation. Il me dit que je suis très belle, je rougis et le remercie. Je détourne le regard, je regarde les enfants qui se courrent après. Un enfant tombe. Il se relève en pleurant et court retrouver sa mère.

Il me dit qu'il est heureux de me voir, qu'il avait hâte qu'on se retrouve. Je lui répond que moi aussi. Je ne parle que très peu, je suis intimidé. Je tremble, frissonne. Je le sens se rapprocher plus près de moi sur ce banc de ville où nombre d'amant s'y sont assis; avec des familles, des enfants et même des amis qui riraient de nous.

Il parle, il parle de ses journées, du collège. Il se plaint, il rit et je l'écoute. Je bois ses paroles. Je le contemple, discrètement. De son jean à ses cheveux. Avec ses mains si blanches et si expressives. Pendant qu'il parle j'admire son visage, m'attardant sur son cou, sa mâchoire et ses lèvres. Il me regarde, il ne lâche pas son regard. Ses yeux bleus, si froid comme la neige réchauffe mon corps. Il s'approche, si près qu'il place sa main autour de ma taille. Nous avons très froid, il suggère de partir. Seuls nous marchons, toujours sa main autour de ma taille. Nous marchons en silence. Mais c'est bien, je profite, je découvre. Personne n'a jamais placé sa main là, de toute ma vie. Je le laisse faire. Il s'y prend bien. Il n'a pas l'air d'avoir peur. Il pense tout en souriant, le regard dans le vide.

Plus nous marchons, plus je crains de dire au revoir. La bise ? Un câlin ? Un signe ? Un baiser ?

Il s'arrête, devant cet arbre. Sous l'arbre. Un chêne je crois, peu de feuilles. Devant la route. Les voitures passent, le brouhaha couvre le bruit du vent. C'est là que nous nous séparons me dit-il. Je le regarde, pour la première fois dans les yeux. Nos regards se croisent, longuement. Le temps s'arrête. Les bruit s'assourdissent. Le vent cesse de souffler. J'approche mon visage du sien. Sa respiration est le seul son que j'entend. Nous sommes si proche. Son parfum traverse mes poumons. Nos visages se touchent. Je l'embrasse. J'oublie le monde. Tout n'est que lui. Je ne respire plus. Mon coeur s'arrête. L'émotion est si puissante, si nouvelle que je ne réalise pas. Cela dure l'espace d'une seconde, d'une heure.

Lentement, il rompt le charme. Je me rappelle si bien de ce regard. Ce regard si amoureux, si heureux. Il m'aime. Je rougis et souris. Nous nous regardons, longuement. A ma grande surprise le temps reprend son cours et tout se passe si vite. Comme si on devait rattraper le temps auparavant arrêté. Il part à l'opposé. Il se retourne. Il me regarde. Je ne veux pas partir. Je ne veux pas le quitter. Je me sépare à contre-coeur. Le temps me retient, me tire. Je finis par l'accepter. Je me laisse porter.


17/11/17


ObsessionsWhere stories live. Discover now