Ma Faucheuse

29 10 9
                                    

Chapitre 1 : La Mort se réveille

Elle se leva doucement de son lit et enfila ses pantoufles noires. Elle ouvrit les volets, qui grincèrent comme à leur habitude. Le soleil brillait dehors et les oiseaux chantaient. De sa chambre, La Mort observait les passants qui se pressaient d’acheter leurs cadeaux de Noël. La neige recouvrait les trottoirs et tombait à petits flocons. Sur la grande place, des hommes hissaient un grand sapin de Noël à l’aide de cordes​. Ils étaient en sueur, et La Mort se demanda ce qu’il se passerait si elle apparaissait devant eux et criait :  “Donnez-moi votre âme !”. Ils partiraient sûrement en courant, comme ils le font tous. La Mort n’aimait pas grand-chose dans la vie, mais regarder les humains suer sang et eau pour accomplir leurs diverses tâches lui plaisait. De la boulangerie d’en face montait une odeur appétissante. Elle vit une foule d'hommes, de femmes et d’enfants se bousculer pour y entrer. La plupart en ressortait déçus, toutes les bûches avaient été vendues. Les décorations de Noël clignotaient sur les lampadaires et sur les balcons des appartements. À la fenêtre d’un de ces appartements, un homme fumait un cigare, en chemise légère. Il observait La Mort, dubitatif. Enfin, il observait plutôt sa maison, car il ne pouvait pas la voir. Elle aurait voulu rester longtemps comme ça, à regarder les enfants s’extasier devant les vitrines des magasins, les adultes les tirant par la main, le froid pesant sur leurs épaules comme une chape de plomb, les chiens faisant leurs besoins sur les bouches d’incendie, les policiers concentrés sur leur travail, faire traverser les enfants, les grand-mères et leurs caddies bourrés de cadeaux pour leurs petits-enfants, le postier soufflant sur ses doigts gourds et tombant de son vélo, ayant glissé sur une plaque de verglas, et cet homme, cet homme-cigare n’ayant pas peur du froid, la regardant fixement comme s’il avait réellement pu la voir. Malheureusement La Mort avait du travail, et le travail n’attendait pas. Elle referma sa fenêtre, fit quelques pas dans sa chambre et ouvrit son armoire. Elle prit une longue pélerine noire et l’enfila. Elle descendit ensuite quelques marches et arriva dans sa cuisine. Sur le frigo l'attendaient des post-it, sur lesquels étaient inscrites les tâches de la journée. Elle les lut attentivement, sourit, et les jeta à la poubelle. Elle entra ensuite dans une petite pièce adjacente à la cuisine. Cette pièce était sombre, ne possédant pas de fenêtres. La seule lumière provenait des dizaines d’écrans d’ordinateur présents dans la pièce. Ils étaient tous allumés et clignotaient sans interruption. La Mort s’assit sur sa chaise roulante en soupirant, et ferma la fenêtre des mails. Elle n'avait pas envie de parler à ses collègues. La Mort n’avait JAMAIS envie de parler à ses collègues. Elle ouvrit une nouvelle page et tapa “dépression chronique” dans la barre de recherche. Elle considéra les résultats d’un air narquois et effaça sa recherche de son historique. Elle avança sa chaise vers un autre ordinateur sur lequel on voyait des courbes, des graphiques, des centaines de courbes et de graphiques de toutes les couleurs. Des camemberts, des paraboles il y en avait sur tous les sujets possibles et imaginables. De la tendance à porter des collants à imprimés léopard aux records de curling. En effet, La Mort se devait de se documenter afin de cibler ses victimes. Elle ne tuait pas n’importe qui, n’importe comment ! Ses collègues faisaient des études sur les humains et mettaient sans cesse à jour ces graphiques qu’ils envoyaient à La Mort. Celles-ci faisait des fiches, comparait les humains entre eux et s’en allait tuer ses victimes. Ce procédé très particulier existait depuis que l’Univers avait créé la vie. La Mort donc, voyait quel “type d’humain” était le plus fréquent, s’il y avait trop de vieux, trop de jeunes, trop de malades ou pas assez, et elle équilibrait le monde. Bien sûr, ce travail était très dur mentalement et parfois physiquement, c’est pourquoi La Mort n’éprouvait pas de sentiments. Elle ne ressentait strictement rien. Elle se devait également d’être en bonne condition physique et c’était la raison pour laquelle La Mort avait vingt-cinq ans et les aurait toujours. Suffisamment âgée pour prendre des décisions seule et être indépendante, suffisamment jeune pour pouvoir faucher quelqu’un de résistant. La Mort aurait été, selon les scientifiques s’ils avaient pu l’étudier, la création la plus réussie de la Nature. Mieux que Frankenstein, que les zombies, les vampires, les loups-garous, les Sphinx, les Sirènes, La Mort était parfaite. Paradoxe à elle seule, elle était tout et rien à la fois, immortelle sans vraiment l’être, intemporelle et achevant le temps des autres, elle était la raison de vivre et celle de mourir, elle était le début mais aussi la fin, elle était un toujours et un jamais, La Mort n’était personne mais tout le monde était la mort, on pouvait mourir d’amour mais La Mort n’éprouvait rien, on pouvait sombrer dans les flammes quand La Mort était froide, La Mort était hier, aujourd'hui et demain, passé, présent et futur, bruyante et silencieuse à la fois, toujours près de vous et pourtant tellement loin, La Mort.

La Mort.

 

La MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant