Prélude

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Quand je pense au passé, je me souviens d'un lac entouré de montagnes. Je me souviens de la forêt, de ce chemin interminable, et je me souviens du château dévoré par la végétation. Je me souviens avoir tenté d'imaginer à quoi il avait pu ressembler au faîte de sa splendeur, lorsque ses tours effondrées tenaient encore debout, que ses murs décrépits resplendissaient de blancheur et que les fêtes se succédaient en son sein.

Je me souviens avoir décrété qu'il serait le berceau de notre famille. À l'époque, cela faisait déjà bien longtemps que je n'avais plus vraiment connu la douceur d'un « chez moi ». Il y avait eu la guerre, bien sûr, qui avait écrasé sans pitié l'enfant que j'étais encore, puis il y avait eu l'errance, dans un foyer de substitution qui était certes mieux que celui que j'avais quitté, mais qui ne remplacerait jamais tout à fait « l'avant ».

Quand je pense au passé, je me souviens d'une ville. Tu m'y avais emmené pour échapper à « l'avant ». Je ne m'y suis jamais habitué. Toi non plus. Je me souviens que depuis la fenêtre de la chambre d'amis du deuxième étage, la vue se limitait à un carré de ciel et au scintillement intermittent des étoiles, au loin, entre les voiles de brume. Je me souviens que c'était la pièce que tu préférais. Tu aimais y lire à haute voix des extraits de vieux livres, et j'aimais t'entendre parler cette langue perdue aux accents rugueux que je comprenais à peine. Tu me disais que c'était la langue de nos ancêtres. Tu ne l'as jamais évoqué, mais ils auraient très bien pu habiter ce château.

Je me souviens de l'éclat de tes yeux quand tu regardais le ciel, de ton sourire lorsque le vent chassait pour quelques instants la pollution persistante qui couvrait la ville. Tu parlais de liberté perdue, et tu rêvais de t'envoler à nouveau au-dessus des nuages pour rejoindre les étoiles.

Quand je pense au passé, je me souviens de cet hôpital, de l'attente insoutenable et du moment où le docteur m'a finalement annoncé ta mort. Tu n'étais tombé que du deuxième étage, mais la chute avait été fatale. Ce jour-là, tu avais oublié que l'être humain n'est pas pourvu d'ailes.

Quand je pense au passé, je me souviens de tes derniers mots. « Vis. Réalise tes rêves ».

Je rêve de voler.

Harlock .0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant