Chapitre 3

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Il est 14h30 et je dois prendre mon train.
Je pars plus tôt car nous sommes samedi, et le samedi je n'ai jamais rien à faire. J'en profiterais donc pour traîner dans les ruelles de Montmartre ; j'en ai toujours rêvé.

Ce soir c'est l'anniversaire de Caroline et j'ai été obligé de lui envoyer un message pour lui expliquer que je ne venais pas. Elle a totalement comprit ma démarche et ma juré qu'on se rattrapera.

J'ai dans mon sac les petits cadeaux pour Ali. J'espère qu'il sera là aujourd'hui. J'attends chaque cours avec impatience.

Il est 15h05 lorsque j'arrive à Montmartre. Le métro me dépose dans le haut du quartier. Je dois donc descendre tout le quartier pour trouver les ruelles.

En descendant les marches j'aperçois quelqu'un assis a l'endroit même où nous faisons cours.
C'est Ali, je le sais.
Je reconnais ses cheveux noirs assez secs.
Le bout de ses doigts pianote sur le bord des marches.
Il a une position lascive, comme un air d'ennuie.
Doucement, je vais m'asseoir près de lui.
Il sursaute.

-"Désolé, je ne voulais pas te faire peur"

Il laisse paraître un large sourire.

-"Tu ne fais pas peur"

Je ne sais quoi lui répondre. Alors, je fuit son regard et pousse un léger rire.
Comme avec Chloé, j'engage la conversation.

-"Qu'est ce que tu fais ici si tôt ?

Il me regarde la tête penchée, comme un petit chiot.

-"Je ne comprends pas"

Je sens que la communication avec lui sera compliquée. Alors, je me lève et je lui propose d'un signe de la main de venir avec moi.
Il valide ma proposition d'un haussement de tête.
Il se lève rapidement, comme si il était pressé de venir.
Peut-être qu'il l'est finalement...

Nous descendons les marches, puis les rues.
Pendant notre promenade, je ne peut m'empêcher de le regarder.
Ses yeux marrons, en amande, pourrait faire tomber fou n'importe qui. Mais ce que je préfère, c'est le teint mate de sa peau.
Une couleur de chocolat au lait fondu. Celui qu'on ramasse au doigt dans le fond d'une casserole.
Sa peau qui se decolore sur les mains.
Comme si on assistait à un dégradé de couleurs qui s'estomperait petit à petit jusqu'à au blanc de ses doigts.
Dieu ! Que je payerais pour passer mes doigts dans les siens. Pour que ma paume touche la sienne.
Mais je m'égare.
Nous ne sommes pas là pour cela.

Nous traversons les ruelles.
Passons devant des petits glaciers, des antiquaires et des bar-lunch.

C'est marrant comme les ridules de ses lèvres sont sèches. Il doit avoir sacrément soif.
Devant un snack je lui propose donc une boisson.
Il me regarde.
Je le regarde.
Il hausse les épaules.
Je lui montre donc la carte du snack et lui propose les boissons disponibles.
Il hésite pendant un long moment puis finit par choisir un jus de pomme en canette.
Je demande au jeune vendeur un jus de pomme et paye le tout.

Il me remercie un nombre de fois incalculable, avec son accent toujours aussi prononcé.

Nous continuons donc de marcher jusqu'à nous asseoir sur un banc pour qu'il puisse boire son jus tranquillement.

J'en profite pour sortir de mon sac ses cadeaux.
Je lui tent l'enveloppe.

-" Quoi c'est ?"

Je ne peux résister à son accent, vraiment trop craquant.

-"J'ai acheté ÇA pour TOI"

Ses yeux s'ecarquillent.

-"Pour MOI ?"

-"Oui oui oui. J'ai acheté ça à la supérette quand j'ai été faire les magasins avec une amie..."

Il me stop d'un coup :

-"Wahou, trop de mots"

Il va vraiment falloir que je me fasse au fait qu'il ne me comprend que très peu.

Il prend l'enveloppe dans ses mains et baisse la tête, comme en signe d'adoration.
Il ouvre délicatement l'enveloppe marron.

-"C'est un livre sur le français avec des feuilles pour écrire"

Du bout des doigts il pousse l'enveloppe avec ses contenants vers moi.

-"Je peux pas"

Je lui demande finalement :

-"Pourquoi ?"

Il quitte mon regard pour aller visualiser le sol.

-"Je ne peut accepter. C'est tes euros"

Je comprends pourquoi il refuse mais je ne peut le laisser refuser.

-"C'est pas beaucoup d'euros pour moi. Et c'est un cadeau pour TOI"

Ses petits yeux viennent se plisser.
Son oeil gauche laisse couler une larme qui vient doucement s'éclater sur l'enveloppe.

Encore une fois, il est content.
Il est heureux.
Et sans m'y attendre, il me sert dans ses bras.
Je suis rigide.
Ce moment est long.
Très long.
Mais je ne veux jamais qu'il se termine.

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17h50.
Tous assis sur les marches, ils nous attendent.
Je suis contente de les retrouver.
Il fait encore jour à cette heure là, c'est normal en mai.
Cependant, je redoute l'hiver, quand il fera froid et nuit.
Les cours deviendront ennuyant pour eux, mais je garde espoir.
Je sais qu'ils seront capables de tenir le coup.

On passe donc une heure à voir les mots de liaisons.
Heureusement pour moi, il y a un homme d'une trentaine d'années qui traduit les choses assez compliquées.

Nous finissons le cours sur un "au-revoir" collectif.
Certains viennent me voir et parlent un petit peu avec moi. Tandis que d'autres préfèrent vite s'échapper.

Pendant que je range mes affaires, ne reste que Ali.
Il vient à mon aide pour ramasser mes feuilles volantes.

Une fois toutes les affaires ramassées, je lui demande :

-"Tu ne rentres pas chez toi ?

En ayant longtemps cherché ses mots il me répond :

-"Je veux que tu viens avec moi"

Il veut donc que je le raccompagne. Je lui explique qu'il faut que je fasse vite car j'ai un train à prendre.

Nous partons donc tout les deux.

Le centre d'accueil se trouve à une vingtaine de minutes à pieds. Mais pour avoir mon train à l'heure, je dois prendre le métro.
Je lui propose :

-"Est ce qu'on peut aller Jusqu'à chez TOI en METRO ?"

Il me répond que oui, si je suis "fatiguée".

Nous prenons donc le métro.
Sur la barre en métal, ma main touche la sienne. Ce moment est divin.

Arrivé à sa station, nous descendons.
Mais de drôles d'hommes sont à la sortie.
Des contrôleurs.
J'avais totalement oublié qu'il devait prendre un billet.
Personnellement, j'ai toujours mon pass navigo sur moi.

Les contrôleurs nous prennent sur le côté et nous demande notre titre de transport. Je lui montre ma carte, il vérifie que je l'ai validé.
Tout est ok.
Vient maintenant le tour d'Ali.
Et si il se faisait virer du pays à cause de moi ?
Si ils se rendaient compte que c'est un immigré ?
Le contrôleur questionnait Ali :

-"Tu as ton billet ?"

Dans l'angoisse, je réponds à sa place :

-"Monsieur, c'est de ma faute. Je suis désolé de...

A peine ai-je eu le temps de finir ma phrase qu'Ali s'est déjà enfuie.

Il a couru et il court très vite.

Je ne peux le suivre.
Je ne verrais donc pas où il habite.

Comment à t'il pu me laisser toute seule ?
Mais après tout, je ne lui en veut pas.
J'espère juste qu'il sera là lundi.
Vivant.





L'amour qui migreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant