chapitre 4

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Deux jours.
Deux jours que je me demande comment va Ali, où il est et ce qu'il fait.
Si il lui est arrivé quelque chose, je m'en voudrais toute ma vie.
Aujourd'hui en cours, j'étais totalement ailleurs. Perdue dans mes pensées, à contempler la moindre chose que je pouvais voir.
Je ne pouvais me concentrer plus d'une minute. Sauf lorsqu'en histoire nous avons parlé de migration des peuples.
Le prof nous faisait l'apologie du racisme en nous prouvant par a + b que nous ne pouvons pas "accueillir toute la misère du monde" et qu'ils ne "Voulaient pas s'intégrer".
Mais, normalement, les profs ne doivent-ils pas être neutres politiquement parlant ?
Quoique, ce n'est aucunement une question de politique mais une question d'humanité. Cependant, je n'ai pas répliqué.
Je suis plutôt discrète en cours et en aucuns cas j'aurais voulu étaler ma vie en expliquant ce que je fais trois fois par semaine. C'est donc la seule heure du jour pendant laquelle j'ai écouté.
Je suis vite sortie de mon dernier cours pour ne pas louper mon train.
Je piétine de gauche à droite sur le quai.
Je ne tient pas en place.
J'appréhende grandement ce qu'il va se passer ce soir.
Est ce qu'il sera là ?
Est ce que je pourrais le voir aujourd'hui ?

Je descends du metro.
Mes pas se font lourds, comme si je ne voulais pas y aller.
Il est tard lorsque j'arrive.
Le cours commence dans cinq minutes alors je dois agrandir mes pas pour arriver plus vite.

j'arrive pile à l'heure.
Ils sont tous présents mais ont l'air fatigués. Leurs cernes crient au secours et leurs habits sont de plus en plus sales, de plus en plus troués.
Je commence mon cours et tout en parlant, je cherche Ali du regard.
Je ne le trouve ni au premier rang, ni au deuxième, ni au troisième et encore moins au dernier.
Durant tout le cours, je n'arrive pas à bien m'exprimer. Les mots se font durs à trouver, la main avec laquelle j'écris est moite et mes yeux sont humides.
Je ressens la même chose lorsque j'ai perdu un objet. Je déteste perdre les objets que j'aimes. Et il en est de même avec les humains.
A la fin du cours, qui se termine plus tard que d'habitude, je me dirige vers un jeune homme que j'ai l'habitude de voir avec Ali.
Je lui demande :

-Sais tu ou est Ali ?

Dans un élan de soupire il me répond :

-Malade...

Ouf... Je suis à moitié rassurée et à moitié inquiète.
Je lui demande donc timidement :

-Je peux venir le voir avec toi ?

Il ne me comprend pas, alors je reprend.

-Moi venir Avec toi pour voir Ali ?

Il acquiesce rapidement et part. Je ne suis pas sûre de sa réponse mais je le suis quand même.
Ma présence n'a pas l'air de le déranger, j'en conclu donc qu'il était d'accord.
Avec lui, pas de train.
Nous rentrons à pieds.
Il a un bracelet sur lequel est écrit son prénom en français : Zakar.

Sur le chemin je lui demande :

-Tu comprends mes cours de français ?

Enfonçant ses mains dans les poches de son pantalon il hausse les épaules.

-Des fois je peux mais des fois je ne peux pas.

Je comprends que pour lui, l'apprentissage est difficile.

Je reconnais l'endroit ou nous arrivons.
Barbès.
Un quartier assez mal réputé de par ses deals de drogues, ses bagarres et sa pauvreté.
Nous arrivons devant un squat.
Le bâtiment est fait de bitume abîmé.
Le peu de fenêtres qui s'y trouvent sont cassées. Jamais je n'aurais pensé que ce bâtiment était habité.
Le garçon me dirige vers l'endroit ou se trouve Ali.
Nous devons monter des escaliers qui ne manqueraient de s'écrouler sous un poids moins léger. Il me pointe la porte du doigt et m'abandonne devant. Je suis seule, dans le grand couloir blanc. L'odeur qui s'y dégage ressemble à celle des cantines scolaires.
De nombreuses portes se succèdent les unes à la suite des autres.
On pourrait se croire dans un abattoir. Il me semble cependant qu'avant d'être un refuge, ce bâtiment était un local ou se vendait de la peinture.

Je toque à la porte. Deux fois.

Il ne me répond pas.
Je retoque une troisième fois mais personne ne m'ouvre.
J'ouvre donc avec le moins de politesse possible la porte.
Lorsque je passe ma tête, je découvre un pièce très restreinte. Je dirais entre dix et douze mètres carrés.
Le sol est couvert de matelas, pouvant accueillir au moins six ou huit personnes. La seule installation présente est un lavabo à l'entrée de la pièce.
Sur le matelas le plus éloigné, j'aperçois un garçon de dos.
Oui, c'est Ali.
Il est allongé sur le ventre, et semble être emporté par un sommeil profond.
Ses omoplates ressortent. La peau qui les protèges semble fine et lorsqu'il bouge ne serait-ce qu'un peu, on pourrait croire que des ailes lui poussent dans le dos.
J'entre doucement dans la pièce.
J'y étouffe. Il fait sombre. Une couverture à été mise devant la fenêtre pour éviter de laisser entrer le soleil. Ses cheveux noirs sont en bataille, comme si il ne s'était pas réveillé depuis des jours.
A côté de son oreiller se trouve le petit carnet que je lui ai offert avec le livre ouvert.
Je décide de m'asseoir à côté de lui.
Sa peau caramel à blanchit et il semble avoir chaud.
Ses petits yeux sont fermés vers moi et je ne peut m'empêcher de le regarder.
Doucement, il ouvre les yeux.
Ses petites billes brunes s'écarquillent.
Il a l'air surprit de me voir. A vrai dire, je comprends que ce soit surprenant.
Il s'assoit en tailleur en se frottant très fort les yeux.

-Qu'est ce que tu fais là ?

-Zakar m'a dit que tu étais malade.

Il se tourne vers moi et tends sa main sur ma joue.

-Ne pas t'inquieter pour moi. Je suis très bien.

Je dois avouer que l'attention qu'il vient de me porter me fait rougir et je me sens redevable. Alors, je pose le dos de ma main sur son front.

-Tu es chaud. Tu dois être encore malade.

Il prend ma main dans la sienne et ne la lâche pas.

-Tu faire beaucoup pour moi. Je ne sais comment faire comme toi.

C'est marrant. Lui aussi se sent redevable.

-Tu m'apportes déjà beaucoup.

Il me regarde avec son air de chien apeuré et me dit :

-Je ne sais ce que tu as dit mais je sais que c'est gentil.

Dans le couloir, des pas résonnent.

-Papa !

Dit il dans la plus grosse des paniques.
Je comprends alors que je dois partir.
Mais avant que je n'eu la chance de passer la porte, son père rentre.
Un homme très grand (je sais maintenant de qui Ali tient sa grande taille), mince au cheveux grisonant limite blancs. Il parle en arabe Avec Ali. Je ne comprends pas un mot.
Il se passe ses mains sous l'eau et repart.
Je me lève pour partir car il est déjà très tard mais Ali me retient par la hanche pour me dire quelque chose :

-Je dois croire que... tu.. tu as... oublié.

-Oublié quoi ?

Il me fait signe de m'approcher avec son index. Je me penche donc vers lui. Il passe sa main droite dans mes cheveux et m'embrasse.
Je n'étais pas prête.
Il m'a prise au dépourvu mais je dois avouer que ça m'a plu.
Nous nous regardons pendant un long moment avant que je décide de partir.
Je récupère mon sac et Ali me dit :

-Demain je veux voir toi.

Sans réfléchir, je lui dit que je serais là demain. A 17h00.

Il me sourit de toutes ses dents.

Lorsque j'atteins la porte, je fais demi-tour et vais l'embrasser sur le front en lui disant :

-Repose toi bien pour demain.

Je détache l'écharpe que j'ai autour du cou et lui donne.
Il l'a sent et la serre contre lui.

Il est 21h00 quand j'arrive chez moi.
Lorsque je passe le seuil de la porte, ma mère m'attends sur la table du salon.
-Tu es enfin rentrée ! Toi et moi nous devons parler.

Je prie pour quelle ne soit pas au courant.

L'amour qui migreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant