Lorsque Marc Jougon sortit de chez lui, d'un pas nonchalant, il rencontra son voisin du palier de gauche. Ils partaient à la même heure et faisaient souvent un bout de chemin ensemble le matin, si bien qu'ils étaient devenus presque amis. Conversant de choses et d'autres ils remontaient la rue Godot d'un pas tranquille. Le premier, Claude vit le lit, il retint Marc par le bras, l'interrompant du même coup. Et les deux hommes restèrent là, à quelques pas du lit occupé, silencieux. Deux longues minutes étaient passées lorsque Marc murmura : "J'ai une vieille table de nuit à la cave."
Intrigué Claude le regarda : "Et?" Amusé, Marc expliqua que tant qu'à faire, il lui faudrait bien une table de nuit, au réveil. L'idée était absurde, mais la situation l'était aussi, et Claude trouva la proposition cocasse. Aussi sans perdre une seconde ni une parole de plus, les amis firent demi tour, puis revinrent rapidement, équipés d'une vieille table de nuit de bois sombre, et d'une drôle de petite lampe à pied de faux marbre, dont l'abat-jour rose à franges rappelait elle aussi le temps passé. Ils déposèrent les objets, se frottèrent les mains d'un air satisfait, puis poursuivirent leur chemin, d'un pas bien plus alerte. Leurs silhouettes qui s'éloignaient avaient un petit rien de plus sautillant que d'habitude. Derrière eux, sur le trottoir trônaient à présent un lit avec une dormeuse, une table de nuit et une lampe au fil électrique pendant dans le vide.Le lever du jour et la sortie des parents accompagnant les enfants à l'école transforma la rue en une volière joyeuse. Toutefois, rapidement les enfants se regroupèrent autour du lit. En silence soudain ils regardaient la femme endormie, respectant instinctivement son sommeil. Un ange passa, comme on dit. Puis une maman appela son fils, sur un ton doux mais sans réplique. Et le groupe s'égailla, chaque enfant revenant se ranger auprès de son parent, la bouge pleine de questions. Qu'ont-ils bien pu répondre ce jour-là?
Entre temps les conversations allaient bon train, les voisins s'interrogeaient, se perdaient en conjectures et restaient là dans la rue à discuter et échanger leurs points de vue. L'un voulait éveiller la belle, l'autre s'indignait sans oser rien faire, d'autres encore pensaient nécessaire d'appeler la police. Le fait est que tout le monde parlait mais que personne n'agissait. Et la femme dormait toujours, immobile.