Le silence le pétrifia, brutal comme un mistral de janvier. Debout sur le trottoir sale, son sac à ses pieds, jamais il n'aurait imaginé que c'était ça, sortir de prison, se retrouver seul dans le silence, au petit matin, en compagnie d'une crotte qui se desséchait sur le trottoir depuis plusieurs jours. Un rectangle de ciel délavé et glauque se découpait au-dessus de la rue, les arbres lançaient leurs branches dénudées à l'assaut des cieux vides et ces branches paraissaient découragées par l'ampleur de la tâche, tandis que l'étron se décolorait, perdait son odeur et ressemblait à un tas informe, désormais incapable de porter bonheur. Un vent frisquet circulait entre les bâtiments aux volets clos.
Frissonnant, il serra les pans de sa veste contre lui en fourrant les mains dans les poches, à la recherche d'un peu de chaleur. Il leva la tête. Des raies de lumière se devinaient aux fenêtres. Il était 6h30, l'heure pour les bons citoyens de se lever et de se préparer à une nouvelle journée, probablement identique à la précédente. Il imagina le réveil qui sonne, la chaleur du lit que l'on quitte, les bols sur la table de la cuisine, et puis, les odeurs de café et de pain grillé qui flottent, les derniers lambeaux de rêve qui traînent dans la mémoire.
Il tapa du pied contre le trottoir, sans vraiment voir l'étron près de lui. Dieu sait qu'il avait méprisé ces petits matins de novembre. Jamais, au grand jamais, s'était-il juré, il ne vivrait comme ça. Ce genre de vie puait la médiocrité.
Il s'était tiré suffisamment tôt de chez lui pour ne pas avoir à sacrifier au rite de la vie quotidienne ; or, il avait récolté trois ans de taule, trois ans après une période où il avait eu son content de beaux culs et d'actes notoirement illégaux.
Mais ce matin-là, le grand type maigre aux traits anguleux et aux cheveux rares se sentait seul, se doutant quelque part que, de lui-même, il se retranchait de tout ce qui rendait les gens heureux. C'était un pressentiment sinistre, un sale goût dans la bouche qui l'emplit d'un cafard à dégobiller alors qu'il retrouvait... la liberté.
Il ne se décidait pas. Avancer? Oui, dans quelle direction? Où trouver un taxi qui veuille bien marauder dans ce quartier à cette heure?
Une voiture s'arrêta, une voiture quelconque d'une couleur ternie par la pollution ambiante. Alors qu'il hésitait encore sur la direction à prendre, il vit la portière arrière droite s'ouvrir. Soudain attentif, il s'immobilisa. Quelqu'un mit pied à terre, une femme vêtue de noir. Dehors, l'inconnue se pencha vers l'intérieur de la voiture et le conducteur posa dans ses bras un objet de forme étrange et vivement coloré.
Le contraste entre la chose multicolore que son regard ne parvenait pas à analyser et la grisaille environnante saisit le taulard à la gorge. L'inconnue se redressa. C'était une petite bonne femme entièrement en noir, la tête entourée d'une capuche plastique anti-pluie, qui plaquait ses cheveux contre son crâne. Tout à coup, il comprit qu'elle portait un énorme bouquet de fleurs rouges et jaunes dans les bras. Elle piqua droit sur lui.
Rapidement, l'ancien prisonnier visionna les quelques femmes de cet âge qu'il connaissait. Il n'y avait personne qui lui ressemblât. Elle en avait après lui, c'était certain. Tout, dans son être, indiquait que c'était lui, la cible. Mieux qu'une tête de missile téléguidée.
Impressionné malgré lui, il restait immobile, affectant l'indifférence, faisant semblant d'attendre un pote ou un taxi, la surveillant du coin de l'œil sans daigner lui jeter un regard. L'inconnue s'approchait, irrémédiablement. La frousse le gagnait, il pensait: voilà ce qu'avaient ressenti les victimes du raz-de-marée du 26 décembre dernier, en Asie: elles voyaient l'énorme vague arriver sans pouvoir y échapper. Un sentiment d'irrémédiable.
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Style, grâce et terrorisme
Mystère / Thriller« Œil pour œil, dent pour dent », clame la Déesse de la vengeance. « Il faut tendre la main à son prochain », rétorquent les grands principes humanistes. Certes, voilà une idée séduisante, mais tout dépend de la façon de le faire. Lorsque Lone a ten...