I. Un léger changement

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     *bip, bip, bip*

     Dans un grommèlement roque, je tapotais à l'aveugle pour éteindre ce foutu réveil. Je le trouvais, essayais de trouver le bouton qui arrêterait les gémissements de la machine, et ne réussis qu'à le faire tomber de son étagère, dans un fracas de piles roulant dans tous les sens. Je laissais échapper un simple "merde !", avant de me lever doucement, encore plongé dans un demi-sommeil. J'appuyais sur l'interrupteur et ma chambre s'éclaira d'une lumière divine, blanche, pure...ouais non, c'était juste mon lustre et ses ampoules basses consommation - surtout basse lumière mais bon, simple détail- qui s'est allumé en crépitant. J'allume mon portable : aucun message, aucunes notifications, rien de plus que les têtes de con qu'on fait, mon meilleur pote et moi, qui s'affichent en fond d'écran. Je le jetais sur mon oreiller et ouvrit mon armoire.

      T-shirts, jeans, pulls, bref, toute la panoplie de l'adolescent "classique" était là. Comme d'habitude, j'attrapais ce qui me passait par la main, à savoir un vieux t-shirt kaki et un jean noir. Un caleçon gris et des chaussettes blanches - à la base, là elles étaient plus marron parquet du salon - et la panoplie fut complète. Une fois habillé, je me retournais et observais ma chambre : une déchèterie, mais je m'y sentais chez moi alors je ne touchais à rien. J'arrivais à distinguer un caleçon sale d'au moins trois jours sous le tas que forment mes vêtements d'hier et d'avant-hier.  Tout cela est, bien sûr, caché dans un coin pour que ma mère ne m'engueule pas trop. Parallèle à mon lit, ce trouvait mon bureau. Comme le reste, un bordel organisé. Les affaires scolaires d'hier étaient entassées sur la droite, celles de dessin sur la gauche, et au milieu, un peu de tout, des feuilles de brouillon, des cahiers ouverts, des livres fermés, une pile d'emballage de bonbons, qui seraient quand même installés plus confortablement dans la poubelle vide sous le bureau. Les murs, à la base blancs, étaient recouverts de posters de films et séries, tant et si bien que je n'arrivai pas à en voir la couleur. Mais bon, priorité au direct, j'attrapais mon sac de cours et le fourra avec tous les cahiers qui me passent par la main, comme ça, j'avais tout ce qu'il faut. Mes livres ? Pourquoi faire, je ne faisais pas les exercices demandés, trop faciles. Donc c'est simple, si mon voisin voulait les faire, il prenait ses livres. Je fermais vite fait mon sac et sorti de ma chambre, direction mon lieu de culte, pour la prière du matin. Oui je parle de la cuisine où je déjeune, et alors ? Jugez pas, chacun ses croyances ! Tiens, ma mère m'avait laissé un mot, pourquoi faire ?

Mon petit Samuel - c'est moi -

Aujourd'hui est un jour particulier pour toi - à bon ?-

Eh oui ! Car aujourd'hui c'est ton anniversaire, le jour de tes seize ans - ah oui c'est vrai ! Cool !

Que le temps passe vite... je me rappelle encore de ta petite bouille d'ange, qui s'est doucement transformée en un visage ferme et masculin. Je sais que ses dernières années n'ont pas été faciles, avec la mort de ton père. Mais cette épreuve nous a rapprochés, et je pense que l'on peut dire que c'est positif non ?  - la mort de papa ? Positif ? Quel est conne...-

Je suis désolé de ne pas pouvoir être là, mais tu sais ce que c'est, les horaires que j'ai, tout ça quoi. - oh oui je sais ! Un père mort et une mère absente ? Super vie ! -

Bref, je dois y aller je suis en retard, à ce soir mon Sammy - non, on avait dit pas ce surnom maman ! -

Je t'aime, passe une bonne journée et profite bien de ton anniversaire !

      Après avoir jeté son petit mot délicat mais quand même super chiant à la poubelle et mis tout mon bordel au lave-vaisselle, je me dirigea vers ma salle de bain. Classique, avec des carreaux sur les murs et le sol et un grand miroir, je ne vais pas vous la décrire plus que ça, vous visualisez très bien je pense, mais bref, reprenons. Donc, je rentra dans ma salle de bains et me déshabilla. Je pénétrais dans ma douche, allumais l'eau, la laissa couler le long de mon corps nu et... STOP STOP STOP ! Ce que je m'imagine sous la douche ne regarde que moi, d'accord ? Voyeurs va. Bref, je sorti de la douche, me sécha, passa un coup de déodorant sous mes aisselles, me lava les dents, me sécha les cheveux, regarda à quel point je suis beau et toutes ces petites choses du quotidien.

      Puis vient l'heure d'aller au lycée. Dans la rue, les passants défilaient et ne prêtaient pas attention au jeune homme que j'étais, et ça m'allait très bien comme ça. Voyez-vous, j'étais ce que l'on pourrait appeler un insociale. Je venais au lycée à l'heure, aux récrées j'étais dans mon coin avec un bon gros livre. Puis je rentrais chez moi, ne sortait plus, et ça recommençait encore et encore. J'étais un adolescent normal, qui ne faisait chier personne et j'étais heureux, alors que demandez de plus ? J'avais mon meilleur pote qui était là si j'ai besoin de lui, même si on n'était plus dans le même niveau, avec mon redoublement. En cours, je n'étais pas vraiment ce que l'on pourrait appeler un élève exemplaire. Je ne faisais aucun exercice et n'apprenais jamais mes cours, mais tant que mes notes restaient suffisantes, j'étais bien avec cette méthode. Mais mes profs se foutaient bien de savoir ce que je faisais, ils avaient surement plus importants à faire.

    Mais ce jour-là, je sentais comme un picotement dans mon dos. Je sentais que ce n'était pas normal. Quelque chose clochait, mais je ne savais pas quoi. Comme si quelque chose bougeait dans mon dos, sous ma peau. Je devais rentrer chez moi. Maintenant.

     Alors, à la fin du cours, plutôt que de suivre les autres élèves jusqu'à la prochaine salle, je me suis éclipsé en silence. Je sortis du lycée en escaladant le portail, mon lycée n'avait pas les sous pour engager un gardien. La douleur s'accentuait de plus en plus. Je me mis à courir jusqu'à chez moi comme si ma vie en dépendait. Je pensais que c'était le cas. Je pensais être aux portes de la mort. Peut-être allait je mourir le jour de mes seize ans, seul. J'aperçus enfin la porte de mon immeuble. Je l'ouvris le plus rapidement que je pus, et me retrouvait vite devant mon appartement, refoulant des cris de douleurs insupportables.

  J'ouvris la porte, la claqua, jeta mon sac dans ma chambre au passage, et couru jusque dans ma salle de bain, la douleur devenant insurmontable. En ouvrant la porte, je tombe à genou de douleur, une douleur fulgurante. Je n'ai que le temps de ramper jusqu'au milieu de la pièce et de me regarder dans le miroir avant de sentir une sorte de déchirement dans le dos, et de m'écrouler sur le carrelage dans un hurlement de douleur, avec l'impression que deux poids étaient apparus dans mon dos. La seule chose dont je me rappelle, c'est un bruit de froissement d'ailes, comme une chauve-souris, et l'image de mon corps, étendu par terre dans une mare de sang, deux grandes ailes noirs dans le dos. Mais ce n'est pas possible, n'est-ce pas ? Je ne peux pas avoir d'ailes, je suis un humain ! Je pensais être mort, et je ne savais pas ce qu'il m'arrivait. Paniqué, je m'évanouis de douleur, seul dans une flaque de mon propre sang.

Le dernier GuerrierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant