6 ans plus tôt

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Quatre ans plus tôt, je rencontrais mon âme sœur.

Il y a un an, je me fiançais.

Dans deux mois, j'allais me marier.

Aujourd'hui, je mourus.

Un coup de fil peut tout changer. Changer une vie. Bousculer des projets. Revoir des priorités. Regarder l'avenir différemment. Apprendre à profiter de l'instant présent.

— Madame Elna, c'est votre tour, déclara l'infirmière, la mine désolée.

Je la regardai sans la voir. Je n'entendais que les pleurs de ma belle-mère qui inondaient le large torse de son mari. J'avançai d'un pas automatique vers la chambre de Stephan. Mon fiancé, l'homme de ma vie. Espérance de vie : quelques minutes. Nous avions appris trois mois plus tôt qu'il était atteint d'un cancer généralisé. On se croyait fort. Imbattable contre cette saleté de maladie. On pensait gagner. On a perdu.

Son visage était aussi blanc que le drap. Ses joues aussi creuses que le grand canyon. Je restai quelques secondes, immobile, à le contempler. Cet homme qui mesurait jadis 1m95, pour 90 kg dont dix kg de muscles, n'était plus qu'une enveloppe squelettique. Il ouvrit les paupières et m'offrit un léger sourire. Je me décidai enfin à bouger pour m'installer sur le matelas. Il porta sa main à mon visage, d'un ultime effort le caressa avant de retomber épuisée sur le lit. Je m'étais préparée à cet instant, à ces adieux. Je savais quoi faire. Quoi dire. Je serai forte. Mais non. Quand la réalité nous frappait en pleine face, les pensées s'écrasaient. Mon ventre se noua. Ma gorge se serra. Mes larmes jaillirent. Les sanglots étouffèrent le bruit des machines. Je me penchai délicatement vers lui sans lâcher son regard bleu azur. Je lui fis un bisou esquimau et posai mon front contre le sien. Sa respiration était sifflante, essoufflée comme s'il avait couru un marathon.

— Je t'aime Stephan. Je ne t'oublierai ja... ja... mais. Tu... tu fais partie de moi. Tu es mon Tic...

— Et moi, ton Tac.

Je plaquai mes lèvres sur les siennes. Un long moment, assez pour sentir qu'elles étaient gelées comme la glace. Ses larmes se mélangeaient aux miennes, se déversaient sur nos bouches, buvant la tristesse de nos âmes.

— Chloé, murmura-t-il avec peine contre mes lèvres.

Je tournai la tête pour lui offrir mon oreille, afin de lui éviter de parler trop fort, car il souffrait à chaque syllabe.

— Je t'écoute, répondis-je dans un souffle.

— Tu... tu referas ta vie.

— Non, je... je... ne...

— Tu... tu vivras. Pour moi... sans moi... Sois mes yeux. Le monde est beau.

— Non, pas... pas sans toi.

— Si, il est beau. Tu le comprendras lorsque tu y seras.

Je me redressai pour le fixer. Il m'observa les yeux pétillants d'espoir.

— Lorsque je serai où ?

— Un lieu où tu comprendras que la vie vaut la peine d'être vécue.

— Où ?

Il ferma les paupières et avala péniblement comme si des lames de rasoir lui déchiraient les cordes vocales. Lorsqu'il les rouvrit, je vis une profonde détermination.

— Promets-moi de me retrouver à l'infini.

Je ris en reniflant. C'était LE lieu. Son lieu. Un endroit d'où il revenait toujours plus grand, apaisé.

— Je ne suis pas toi, Stephan. Je ne suis pas sportive, je suis casanière. Je m'essouffle lorsque je vais acheter le pain, et toi, tu me demandes une randonnée de huit jours à pieds, sac à dos, avec un climat bipolaire !

Son regard devint sévère.

Je soufflai en secouant la tête.

— Tu ne plaisantes pas, n'est-ce pas ?

— Promets-le-moi.

Je fixai le plafond, comme si je demandais de l'aide à un Dieu. Puis, au bout de quelques secondes, je reportais mon attention sur mon âme sœur.

— Je te le promets, murmurai-je.

Ma réponse le soulagea et coupa le dernier fil qui le maintenait en vie.

Rendez vous à l'infini (publié chez REINES BEAUX)Where stories live. Discover now