CHAPITRE TROIS
Azurin Onirique

Un fragment de lumière ondule sur le crépis, joue dans ses aspérités

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Un fragment de lumière ondule sur le crépis, joue dans ses aspérités. Et puis l'ombre se déplace, bouscule les règles, amorçant une chorégraphie aussi harmonieuse qu'acharnée. Rendue somnolente par les derniers rayons de soleils, je savoure la torpeur qui s'empare de mes membres en contemplant le ballet effréné. Son issue me semble inéluctable. Dans quelques heures, trois tout au plus, l'obscurité aura vaincu les dernières lueurs opiniâtres. Mais je m'accroche, puisant un réconfort étrange dans l'observation de cette lutte absurde et perpétuelle.

Voilà que mes yeux dérivent, se fixent sur le contour enflammé qui défini chaque motif lumineux. Un sentiment de malaise écrase la quiétude que j'étais parvenue à saisir. Je redresse la tête. Devant moi, une cascade auburn achève de parer ma vision d'écarlate tandis qu'un paysage flamboyant se découvre. Même les taudis sont transfigurés à la lumière du couchant. Quand le monde est éclaboussé d'or, que ses couleurs s'exhument dans un feu sauvage et ardent. Pourtant aujourd'hui la vue qui a tant de fois réussi a m'arracher un sourire me répugne. Quelque chose se tort dans mes entrailles, quelque chose de terrible qui submerge tout le reste pour ne plus laisser qu'une coquille vide, sinistre, sans raison d'être. Une monstrueuse aberration.

Incapable de rester davantage immobile, j'entreprends de quitter le toit qui a tant de fois hébergé mes rêveries. La pierre est rêche, les tuiles un peu glissantes laissent des empreintes humides sur le bout de mes manches. Je descend à grands gestes déterminés, frayant avec le vide dans un jeu périlleux et enivrant. L'air me frôle, s'enroule autour de mes chevilles. Il me semble presque qu'il chante à mes oreilles. Je lance la jambe, crochète une brique un peu saillante, m'oublie dans la proximité grisante du danger. Peu à peu l'adrénaline et ses palpitations emportent mes doutes au loin pour ne plus laisser que les frissons sur ma peau.

Le bâtiment n'est pas bien grand, et j'en arrive rapidement à bout. Il s'agit d'une vieille bâtisse défraîchie qui semble constamment tirer la gueule. Les fissures dansant sur toute sa longueur associées aux gémissements guturraux du vent ont suffit à dissuader même les plus courageux de l'élire pour domicile. Quelle bêtise ! Peu importe qu'ils soient affamés et frigorifiés, livrés aux aléas d'un temps pernicieux, les habitants des taudis s'accrochent férocement aux superstitions. Comme si c'était tout ce qui pouvait encore les rattacher à leur humanité.

Je devrait me sentir soulagée de retrouver le sol, pourtant une impression désagréable persiste. Il y a quelque chose de dérangeant dans les nuances de gris qui engloutissent le paysage. Quelque chose de dissonant, qui jure avec la morosité coutumière. Mes yeux vagabondent quelques instants de façade en façade, avant de se figer tout à fait.

Je le vois. Souvenir fugace et rachitique. Ses os sont saillant, sa peau tendue. Il m'attend. Pourquoi ? Comment ? Les questions s'entrechoquent et disparaissent à face un regard bleu cobalt. Un regard étrange, qui semble tout savoir, tout comprendre. Sans plus d'effort, il lit mes résolutions, et ma plus grande faiblesse qui consiste à n'en avoir aucune. Ses lèvres bleutés s'ouvrent avec lenteur, laissant s'échapper un râle définitif. Un nom.

« Ambre. »

Je sursaute. À quelques rues d'ici, cinq coups sont frappés avec force sur une porte de taule. Le bruit métallique semble rebondir contre les murs avant de s'échapper dans la nébulosité. Cinq coups, et autant de chocs qui soulèvent ma poitrine. De sursauts muets, d'angoisses volatiles. Je sombre pour quelques syllabes. Pour un mot, une simple consonance ou coïncidence.

Mais bientôt le silence s'étire, s'étale, écrase les derniers échos jusqu'à emplir l'air de sa présence étouffante. Une multitude de questions se bousculent dans mon esprit. Qui est-il ? Que sait-il ? Quelle est cette peur qui m'oppresse ? Les minutes s'écoulent entre panique et fascination. Il est temps. Je dois briser le mutisme. Parler.

_Comment connaissez vous mon nom ?

Sourire. Je vacille, happée par un flot d'émotions contradictoires. Pourquoi ne me répond-il pas ? A-t-il seulement conscience de la tempête qui menace de me détruire ? Tempête de points d'interrogations. Tempête de sentiments, fugaces impressions. Ma voix tremble.

_Comment connaissez vous mon nom ?

Nouveau sourire. Le vieillard me fixe, immobile. Ni le vent ou la nuit, ni même aucune de mes paroles ne semblent l'atteindre. J'ai la désagréable sensation d'être invisible, seulement traversée par un iris vespéral. Ma colère pare le décors d'ombres tandis qu'une amertume familière jette ses ténèbres sur l'horizon. Je veux des réponses. Je les aurai. Alors, semblable à un automate rouillé ou un pantin désarticulé, je laisse ma voix rauque écorcher inlassablement la même question absurde :

_Comment connaissez vous mon nom ?

Silence. Encore et toujours. Mes veines semblent pulser, battre une cadence insupportable et nerveuse. J'ai envie de hurler à m'en déchirer les cordes vocales. J'ai envie de l'attraper, lui secouer les épaules avec force, le frapper jusqu'à le voir perdre contrôle. Des couleurs éclatent sur mon esprit, recouvrent toute pensée. L'espace d'une seconde, peut être plus, je ne suis plus habitée que par cette rage primitive et insensée, ces images de violence irrationnelles. J'ai envie d'arrêter de me contenir, libérer l'instinct bestial qui s'agite au fond de mon être.

Au lieu de cela, j'attends.

Les minutes s'étirent sous une pluie d'astres intemporels. Peu à peu le ciel s'abandonne à l'obscurité qui dévore ses extrémités. Chaque perception paraît exaltée, décuplée par le feu sauvage qui ronge mes entrailles. Bientôt les vrombissements lointains des automobiles se joignent aux gémissements lugubres de quelques chats errants. L'odeur piquante d'une épice inconnue semble envahir la rue tandis que le bruit étouffé d'un poste radio se mêle à nos souffles réguliers. Ma colère s'étiole, s'oublie dans la contemplation d'une plante improbable, logée entre deux fissures conjointes sur le bitume. Et ne reste plus que l'attente insoutenable.

Soudain, une voix rocailleuse s'élève dans la nuit.

_ Tu t'es perdue, énonce tout simplement le vieillard.

Par sa bouche les mots sortent transfigurés, teintés d'une sagesse infinie. Son timbre grêle semble métamorphoser une constatation erronée en raisonnement philosophique. Je comprends alors qu'il raisonne en termes spaciaux. Ce qu'il veut dire, ce qu'il est parvenu à exprimer en une phrase écorchée, c'est que mon identité s'effiloche. Que j'ai perdu de vue les rêves qui m'animaient.

Ma réponse fuse, presque immédiate.

_ Je ne pense pas pouvoir me retrouver un jour.

Le vieillard rit.

***

Salut à toi, lecteur égaré !

Si tu es arrivé jusqu'ici, je te remercie de suivre les tribulations nocturnes d'Ambre. J'écris pour moi, cependant il est toujours fascinant et gratifiant de s'imaginer que quelqu'un, quelque part, est peut-être en train de découvrir nos mots. Soudainement le texte n'est plus un simple alignement de caractères voué au néant. Merci.

A bientôt entre les lignes !

Trois Teintes D'espoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant