CHAPITRE QUATRE
L'espoir n'est pas Vert

Ce rire, c'est une cascade éraillée, un crépitement franc et désaccordé

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Ce rire, c'est une cascade éraillée, un crépitement franc et désaccordé. C'est une mélodie plutôt laide, un concerto de dissonances, un chef-d'œuvre d'imperfections qui semble exposer ses fêlures et ses aigus dans un véritable feu d'artifice. J'avais presque oublié comme il pouvait être agréable d'entendre un son aussi grinçant.

Lorsque le vieillard reprend la parole, il me semble que des éclats de voix joyeux résonnent encore entre les ruelles.

_ Tu es trop jeune pour parler d'impossible, explique-t-il en réponse à l'interrogation qui déforme mon visage. Même moi, je ne m'y risquerais pas.

Comme le silence s'étire de nouveau, il reprend :

_ Les choses n'ont pas à demeurer inchangées. D'ailleurs les choses sont ce que tu en fait, ce que tu décide d'en percevoir. Il n'y a pas de réalité tangible et de vérité absolue, seulement des interprétations, des représentations. Seulement ta vérité.

Cette fois, le silence peut tout juste s'inviter à la lisière de notre conversation. Un nuage de buée accompagne mes mots alors qu'ils bondissent vers l'éther.

_Pas de réalité tangible ? Le sol sous nos pieds, le vent sur ma peau, les murs qui se dressent au devant de notre liberté me semblent assez incontestables. Le refus des Beaux Arts était véritable.

Sans le vouloir, j'ai soufflé ma dernière pensée sur un ton morose. Mais lorsque mon regard s'accroche aux orbes bleu cobalt, ces derniers ne paraissent pas assombris par la peine ou la condescendance. Quelques gerbes azurines réfractent paisiblement le clair de lune. J'ai beau chercher l'obscurité, explorer l'infini bleuté, seule une compassion authentique semble habiter ce regard.

La réponse du vieillard n'est qu'un murmure. Et pourtant, une force incroyable semble s'en dégager.

_ Il ne tiens qu'à toi de transformer l'échec en apprentissage. D'inverser la gravité, de métamorphoser la chute en ascension. Tu pourrais changer la couleur du ciel, façonner les nuages, chevaucher un astre par la force de ton esprit.

Un soupir, léger, s'échappe sur l'air nocturne. Ce genre de discours idéalistes, j'en ai trop vu, trop entendus. Les promesses sont un poison. Douces, elles s'évanouissent promptement sous le goût acerbe de la désillusion. Ma réalité ne laisse pas de place aux espoirs éphémères, aux joies fugaces, à l'étreinte brusque et fugitive d'un rayon de soleil. Ma réalité s'abandonne aux pluies qui délavent, à la lumière brute soulignant les imperfections, au brouillard léger achevant de ternir le paysage. Ma réalité refuse que les frioritures de l'imagination viennent compromettre sa splendeur insipide. Quelques heures auparavant, un océan vermillon a achevé de la couvrir d'ombres.

Cette fois, c'est moi qui demeure muette. Emmurée dans un dédale monotone, éperdue en un labyrinthe écoeurant d'uniformité, lassant de platitude. Je ne supporte plus d'entendre le vieillard écorcher des phrases sybillines. De devoir m'engouffrer au coeur de ses paroles pour en extirper un sens, telle une spéléologue s'enfonçant dans un boyau sinueux à la recherche de quelque trésor renfermé par les roches antédiluviennes. Mais lorsque son timbre grave s'envole de nouveau, mon attention s'y accroche immédiatement.

_Tout ce qu'il te faut c'est accepter de l'aide, annonce-t-il d'une voix vibrante.

Je retiens de justesse un ricanement dubitatif.

_ Quelqu'un aurait le pouvoir de m'en apporter ?

Malgré moi, mon cœur bat la chamade. Je maudis le tremblement fébrile qui s'empare de mes mains, maudis l'adrénaline qui embrase mes veines, maudis encore les vertiges qui me saisissent. La brise souffle. Fort. Et dans ses gémissements gutturaux, une réponse me parvient.

_Toi.

Trois lettres. Il en faut peu pour que la déception me submerge. Je suis vent. Vent et vide. Il n'y a pas plus de sensations dans mon corps que de bleu sur le ciel. Trois lettres. Leur sens éclate sur mon esprit fatigué. Tourbillon de haine et de fureur. Fauve incontrôlable, survolté. Je suis colère.

Trois lettres seulement, mais un raz de marée brutal qui se jette à l'assaut de mes barrières, déferle sauvagement pour ne laisser plus qu'une ruine lasse et désabusée. À coup de bélier, l'émotion s'est creusé un passage jusqu'aux entrailles de la ville pour y creuser ses lésions. Une larme rebondis sur mon bras, capte un rayon de lune avant de s'évanouir dans les ténèbres. Décidément, il me semble que je surestime constamment ma force. Que j'oublie invariablement cette fêlure, juste au dessus du coeur. Ou devrais-je dire ce gouffre insupportable d'envergure et de profondeur.

Une question se détache, brille sur le chaos. Je m'en saisis.

_Comment ?

Ma voix n'est plus qu'une brisure, un raclement malingre. Le vieillard me fixe. Longtemps. Peut être devine-il les pensées qui me traversent. Peut être même les a-t-il déjà rencontrées. Il parle.

_Nous avons tous en nous cette étincelle, ce petit éclat de génie, qui ne demande qu'à grandir et tout bouleverser. Tu peux t'en sortir, Ambre, tu peux t'en tirer. Tu as la force et le don qui ne demandent qu'à briller. Suis ton instinct, mieux que quiconque il connaît le chemin.

Aucun mot ne franchi mes lèvres. Aucun mot, mais un rire dément qui rebondi contre les murs. Puis ma voix résonne, si dure que je ne me reconnais plus :

_Qu'il est drôle de penser que je puisse être sauvée ! Voilà bien longtemps que l'espoir à quitté mon cœur. Ces mots, vous auriez dû me les dire avant, lorsque j'étais encore une enfant. Maintenant il est trop tard, mon âme est complètement noire.

Comme une bourrasque passagère, les sentiments se dispersent et mon visage se ferme. Résolu. Toutefois un sourire suffit à ébranler mes convictions. Un sourire et deux yeux clairs.

_Tu mens.

J'ai la désagréable sensation que toute fermeté de ma part est constamment tournée en dérision par ce vieillard imperturbable. La frustration achève de distordre mes traits alors que le sens de ses mots, si simples et pourtant absolus, me percute de plein fouet. Loin, au plus profond de mon être, une flamme s'allume. Poussière de rêve ou fragment d'enfance, je l'ignore. Toujours est-il qu'elle est là, logée au creux de ma poitrine, et qu'avec elle le monde reprend un peu de ses couleurs.

Perdue dans un univers de réflexions, j'en ai oublié de résoudre un mystère essentiel. Je redresse la tête, hurlant presque la question qui éclate sous mon crâne.

_ Vous ne m'avez toujours pas dit comment vous me connaissiez !

Seul le vent daigne me répondre d'un gémissement lugubre. Dans la ruelle exiguë, il n'y a déjà plus personne.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 22, 2022 ⏰

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Trois Teintes D'espoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant