II. Récolte d'hiver (partie 1)

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   Dans la contrée de Lèrar, loin des tempêtes perpétuelles du royaume sacré, un jeune homme ramassait du bois. Celui-ci s'effritait au moindre contact tellement il était humide. Morgan frottait chaque bûche trouvée, en essayant, sans grande réussite, d'enlever la neige tenace qui les recouvrait avec son épais manteau brun en laine brute.

   Abandonnant son idée de départ, le jeune homme soupira exaspéré par le temps et ses conséquences. Il en avait plus qu'assez du froid et de cette couche blanche déprimante ! Il secoua ses manches auxquelles des copeaux étaient restés accrochés, autant pour s'en débarrasser que pour évacuer la colère naissante. Il repartit ensuite ramasser d'autres bûches, à moitié dissimulées sous la neige, devenue boueuse à cause des passages fréquents de divers animaux. Une fois qu'il en eut réuni un paquet d'une taille assez importante à son goût, il les souleva avec peine en prenant de grandes inspirations.

   Toujours la même routine lassante, pensa-t-il.

   Étant encore chétif pour son âge, il avait plus de difficultés pour les travaux manuels que les autres garçons, ce qui le rendait jaloux. À cause de cela, il devait supporter les moqueries de ses compagnons qu'il continuait tout de même de considérer comme des amis. Il était bien trop gentil et respectueux de l'avis de ses parents mais ils ne le comprenaient pas. Que pouvait-il faire d'autre ? Se battre ? Non. Il serait seul, avec Rahali si la chance l'accompagnait. Il était convaincu que la situation s'améliorait avec le futur.

   Le jeune homme traversa le sous-bois encore plongé dans les ombres du petit matin. Des frênes, des pins et des érables se dressaient vers le ciel rosé, tous plus grands les uns que les autres. Le garçon s'amusait souvent à s'imaginer ces arbres en train de faire un concours de qui serait le plus superbe, le plus grand. Bien qu'il ait passé l'âge de penser à ce genre de chose, cela l'amusait encore.
Enfant, il se couchait dans les quelques herbes en étoile et observait leurs détails.
Certains avaient des troncs tordus ou bosselés recouverts de lierre, de gui et d'autres plantes grimpantes, qui les étouffaient dans leurs anneaux. La plupart d'entre eux avaient encore des feuilles sur leurs branches sèches, longues et bien souvent brisées.

   Il avança jusqu'à son traîneau en levant haut les jambes. La neige lui arrivait jusqu'aux genoux, mouillant son large pantalon en cuir recouvert de fourrure chaude. Il laissa une longue traînée semblable à un canyon derrière lui. Cela ne le gênait guère malgré les reproches qu'il recevait pour son manque de discrétion. Pour une fois qu'il ne l'était pas, il se faisait tout de même gronder comme un gamin de trois ans. Mais, ces censeurs avaient des raisons de le faire. Des bêtes monstrueuses rôdaient toujours dans les parages. Elles attendaient la moindre occasion pour bondir sur un enfant incapable de se défendre. Et les plus cruelles et intelligentes n'hésitaient pas à suivre ces pistes faciles.

   Dans un bruit mat, il déposa son paquet dans une cavité. Quand le traîneau glissait et sursautait sur le sol blanc comme animé par une vie propre, elle s'avérait très utile. Celui-ci était fabriqué dans du bois et du métal brillant au soleil. Le tout était maintenu par des liens rugueux en cuir tanné et tressé.

   Il rangea les bûches les moins pourries les unes au-dessus des autres, en prenant son temps pour qu'elles puissent toutes avoir une place sans semer leur écorce. Le jeune homme repartit en direction de la forêt. Il avait fini sa tâche. Maintenant, il allait donner un coup de main à son ami. Morgan aurait au moins le plaisir de rentrer avec lui. Il détestait la solitude presque autant que les chevaux. Pour lui, ces animaux étaient non seulement énormes mais aussi violents et dangereux. Il les voyait comme de véritables monstres.

   Seul le bruit de brindilles, qui craquaient sous ses bottes, brisait le silence. Morgan s'enfonça loin à l'intérieur de la forêt. Il pouvait apercevoir, tendues entre les branches des végétaux vêtus d'un manteau de neige, les toiles d'une araignée.

Éternel Hiver : L'ombre de la JusticeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant