Prologue

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L'enfant ouvrit les yeux, ses jolies petites joues étaient rougies par le froid qui traversait les pierres rugueuses de sa chambre. La nuit était tombée, la lune était pleine et le vent dehors soufflait des flocons de neige d'un blanc étincelant. Elle se précipita vers sa fenêtre, posant ses pieds sur le sol gelé par la température ambiante, l'hiver n'épargnait personne, pas même la petite princesse. Elle rit en comprenant que les premières neiges tombaient devant ses jolis yeux verts, que le paysage marin face à elle se couvrait petit à petit d'un manteau blanc. Le sable d'ordinaire couleur d'or devint albe, les végétaux d'un vert éclatant se couvrait de cette couleur froide à la beauté pure.

Le rire de la demoiselle alerta la servante qui dormait dans la pièce juste à côté, cette dernière ouvrit la porte en soupirant.

— Votre altesse ! Veuillez retourner vous coucher, je vous prie...

La petite fille, du haut de ses huit hivers, observa sa gouvernante s'approcher avec un regard amusé.

— Tu as vu Ganah ! La neige commence à tomber !

— Oui princesse Norah, je l'ai vu.

La gouvernante s'approcha un peu plus de la fenêtre avec un sourire chaleureux, elle posa une main maternelle sur l'épaule de la jeune enfant. Cette femme au teint gris, dont les années avaient creusé les cernes et les rides, était une sorte de mère de substitution pour la princesse et son petit frère qui avaient perdu la leur très jeunes.

— Je voudrais aller dehors pour toucher les premiers flocons, expliqua l'enfant sous le regard bienveillant de sa gouvernante.

— Vous sortez à peine d'une maladie due au froid, nous n'allons pas vous exposer de nouveau de la sorte.

La fillette haussa les épaules et, sachant pertinemment que Ganah n'allait pas lui céder ce magnifique instant sous le froid sec, elle se tourna donc vers son lit richement décoré et se glissa sous les draps. La servante lui offrit un beau sourire et retourna dans sa chambre, dans la chaleur si réconfortante des couvertures.

Mais la jeune princesse n'avait pas dit son dernier mot, elle sauta à terre dès qu'elle jugea que Ganah avait eu le temps nécessaire pour se rendormir. Elle se faufila dans le couloir, qui menait à sa chambre, en marchant sur la pointe de ses petits pieds nus. Elle voulait marcher dans la neige froide pour en frissonner de joie, un luxe qui ne lui était jamais permis.

En arrivant dans le grand couloir qui menait aux appartements du couple royal, la petite princesse hésita. Elle adorait embêter sa belle-mère pour la rendre chèvre, car la princesse était indifférente à l'amour que lui portait cette femme. La jeune enfant se mit donc en tête d'échapper à son plan initial et se précipita vers la chambre de ses parents, elle espérait silencieusement qu'ils dormaient paisiblement.

Cependant, alors qu'elle approchait du battement entrouvert, elle entendit des voix s'échauffer :

— Votre « Purge » est inacceptable ! Les sorcières font tout autant partie de mon peuple que les Sans-magie !

— Mais nous savons que certaines d'entre elles sont maléfiques, elles peuvent nous faire tout le mal dont elles ont envie, vous rendez-vous compte dans quel monde grandissent vos enfants ?!

— Je ne vous le répéterais pas une deuxième fois, vous n'êtes la reine que par mariage et ce genre de décisions me revient de droit ! Alors restez à votre place, faites en sorte de sourire au peuple et de couvrir mes enfants d'amour, je ne vous demande pas de prendre des mesures politiques !

Norah ouvrit légèrement plus la porte pour pouvoir observer la scène avec plus de détails. Son père se tenait, fier, devant sa belle-mère dont le visage était rouge de colère. Il avait les bras croisés et sa couronne brillait superbement dans cet océan de cheveux bruns. Ses yeux étaient éclatants d'une colère incroyable et ce fut à cet instant que la princesse comprit que le roi n'aimait pas sa reine, la magnifique et éblouissante Irène.

— Vous n'avez pas beaucoup de discernement mon roi, les sorcières peuvent prendre le pouvoir à tout instant, il leur suffit d'attendre que vos enfants et vous ayez fermé les yeux pour vous tuer durant votre sommeil.

— Je vous interdit de mettre mes enfants au centre de cette discussion ! Et arrêtez avec cette histoire de chasse aux sorcières, nous ne sommes pas des monstres et encore moins des tyrans ! Mon Royaume est en paix depuis que je suis sur son trône, la fin de la Guerre avec les Tisseurs est loin et nous sommes enfin heureux dans le respect des autres.

La princesse se mit à sourire, son père avait toujours cette élégance dont elle était admirative, il lui parlait sans cesse de ces décisions qui avaient mené son pays à une paix durable et sans possibilité de nouvelle guerre.

— J'aurais au moins essayé de vous mettre en garde, sachez que je regrette d'avance mon geste, avoua la reine en baissant le regard.

Le roi se crispa, la princesse ne comprenait pas et ouvrit davantage la porte.

— Que voulez-vous dire ?

Irène découvrit, avec une rapidité telle que l'on pouvait à peine percevoir son mouvement, sa main armée d'une dague en or. Son arme était cachée dans sa manche depuis le début de leur entretient, elle espérait cependant ne pas avoir à s'en servir.

La reine planta l'objet dans le torse couvert d'étoffes précieuses du roi, lui arrachant un cri étouffé qui fit écho au silence de l'enfant spectatrice de la scène. La princesse suffoqua d'un coup, sentant une vague d'émotions contradictoires et douloureuses. Une profonde tristesse, mêlée à une colère explosive ; une peur chronique, mélangée à un courage sans nom. Elle ne dit rien, observant silencieusement le corps agonisant de son père, et voyant, de ses yeux remplis de larmes, le sang écarlate qui s'échappait du cœur du souverain.

— Je vous promets de bien m'occuper de vos enfants, mon roi.

La voix de la reine était noyée de tristesse, comme si elle pleurait sincèrement la mort de leur souverain, un homme bon qui avait fait de sa vie une suite de décisions pour alléger le calvaire de la vie à Allyden.

— Ma...ma fille... est la...véritable, gémit le roi entre deux toux.

— Oui, mon roi ?

— Norah est reine, dit-il dans son dernier souffle.

Les yeux de la fillette s'écarquillèrent. La vie s'était à jamais échappée du corps de son géniteur, son destin à elle était à présent entre les mains de cette reine factice.

— N'ayez crainte Régis, Norah deviendra une reine splendide dès son quinzième hiver. En attendant, je vais l'élever, elle et son frère, et ils seront de parfaits enfants, je vous le promets.

Norah sentit la peur la tétaniser, cependant deux bras l'agrippèrent à la taille et la soulevèrent du sol. La petite fille se mit à hurler à la mort, ayant peur que l'on vienne l'arracher à la vie elle aussi.

— Chut princesse Norah ! lui ordonna une voix autoritaire qu'elle connaissait parfaitement.

Le visage de Ganah se découvrit sous la lueur des bougies qui éclairaient le couloir royal. Elle rabattit immédiatement sa capuche sur ses yeux, voyant la porte de la chambre s'ouvrir sur la reine Irène. La robe de celle-ci était encore couverte du sang frais du roi, mettant dans une colère noire l'enfant.

— Vous êtes un monstre ! Vous avez tué mon père !

Les yeux de la reine devinrent noirs, mélange entre colère et frayeur. La servante n'attendit pas la réaction de la furie pour s'enfuir, se faisant très vite poursuivre par les soldats. Ganah tenait l'enfant dans ses bras, la serrant fortement contre son cœur, comme si elle était sa propre fille.

Ce fut ainsi que le roi mourut, que la princesse fut enlevée par sa servante et qu'Irène devint Reine régente du Royaume. Elle fit croire à tout son pays que des sorcières s'étaient infiltrées dans l'enceinte du château, avaient poignardé le roi et avaient kidnappé la princesse. Elle fit même croire qu'elle avait sauvé le prince Eryan, jeune frère de Norah, âgé de cinq hivers.

Peu de temps après les funérailles de son époux, la Reine mit en place une chasse aux sorcières qu'elle appela La Purge. Selon ses dires, c'était le meilleur moyen de rendre Allyden plus sûr, que les sorcières et les Tisseurs ne devaient pas avoir le droit à la magie, car celle-ci rendait plus faibles ceux qui en étaient dépourvus.


Allyden : Un Monde Déchiré Où les histoires vivent. Découvrez maintenant