Antonio Salieri n'aimait pas arpenter les couloirs du château de l'Empereur d'Autriche Joseph II, grouillants de courtisans et courtisanes. Ils étaient tous plus faux les uns que les autres, avec leurs vêtements inconfortables en dentelles et en soie, leurs perruques d'une importance ridicule et leurs visages poudrés comme un masque pour cacher leur hypocrisie.
Mais pour gagner sa vie, le Maestro italien devait bien se résoudre à se fondre dans la masse de cette noblesse horripilante. Alors il avait dû revêtir cette carapace de froideur, autorité et retenue pour se faire respecter et apprécier de cette cour.
Sa discrétion naturelle faisait de lui un compositeur exemplaire, obéissant aux ordres de l'empereur sans protester et le divertissant avec de magnifiques œuvres musicales.
Antonio Salieri avait beaucoup travaillé pour en arriver là et espérer qu'un jour sa musique touche le beau, frôle la perfection.
Il l'admettait, malgré des efforts acharnés, il n'avait jamais atteint cette satisfaction. C'est pourquoi lorsqu'il entendit les œuvres de Wolfgang Amadeus Mozart, une énergumène qui passait son temps à courir après les jupons de toutes les femmes, un petit prétentieux sûr de lui qui ne se remettait jamais en question, un surexcité qui gesticulait dans tout les sens et riait pour un rien, la jalousie l'étrangla. L'Autrichien composait à la perfection.
Et à en juger l'écriture de Mozart sur les partitions que ce dernier lui avait donné avec arrogance, les notes dansaient dans son esprit sans le moindre effort, il n'avait qu'à les étaler sur le papier,encrer les pages de son talent.
C'était injuste.
Et Antonio Salieri s'en trouvait totalement perdu. Dans son esprit, le mépris se mêlait à de l'admiration. Il reconnaissait et enviait le talent de composition de Wolfgang Amadeus Mozart.
Et ça faisait mal. Comme s'il ne souffrait pas déjà assez de sa condition.
Non vraiment, traverser les couloirs en croisant les regards des courtisans et courtisanes horripilait Salieri. À part la musique, il n'aimait rien ni personne et la douleur nichée dans son esprit était devenue sa seule muse.
Le compositeur italien pensait qu'il était condamné à cela pour le reste de sa vie, mais c'était sans compter l'intrusion qu'allait y faire une chanteuse d'opéra.
Elle rejoignait la cour de Joseph II aujourd'hui même et c'est pour la rencontrer qu'Antonio avait dû traverser tout le château. Il aurait préféré rester comme à son habitude enfermé toute la journée dans son bureau avec pour unique compagnie sa plume et ses partitions mais, en tant que Maître de la chapelle impériale de l'Empereur,les usages voulaient qu'il accueille la nouvelle cantatrice. Après tout quoi de plus normal, ils allaient sans doute être contraints de travailler ensemble puisque Salieri ne supportait déjà plus une bonne partie des cantatrices choisies par l'Empereur et refusait de les voir. Il espérait s'entendre avec la nouvelle venue.
Joseph II avait organisé une petite réception pour célébrer son arrivée,un rien étant prétexte à manger et boire sans restriction chez la noblesse. Quelques ducs et duchesses, comtes et comtesses ainsi que les compositeurs et librettistes les plus appréciées de l'Empereur d'Autriche avaient été conviés.
C'est à cause de cela qu'il fut contraint de supporter Wolfgang Amadeus Mozart, son rival ayant profité que le Comte Rosenberg s'éloigne quelques instants de lui pour aller se servir un morceau de la pièce montée qui trônait au milieu de la table de banquet pour venir discuter. Ou plutôt pour lui déblatérer un monologue, Salieri n'ayant pas desserré la mâchoire une seule fois depuis que le compositeur blond lui parlait.
Agacé par la présence de Mozart, le Maestro Italien ne l'écoutait qu'à moitié. De toute façon il n'avait pas besoin de l'écouter parler de son prochain opéra pour savoir que ce serait un pur chef-d'œuvre.
Heureusement, Mozart finit par se taire, précisément lorsqu'ils aperçurent tout les deux la nouvelle cantatrice. Elle était grande et fine, son corps clair habillé d'une robe noire bouffante à corset, quelques plumes assorties épinglées dans ses cheveux crêpés en chignons.De longs gants satinés jais couvraient ses bras et de longs faux-cils prolongeaient son regard. Vêtue comme cela, elle ressemblait à un élégant cygne noir.
Salieri jeta un coup d'œil en direction de Mozart. Il la fixait d'un air interdit, les yeux légèrement écarquillés et le teint bien pâle malgré son visage non poudré.
- Et bien mon cher Mozart, que vous arrive-t-il ? Vous avez avalé votre langue à force de parler ? Railla Salieri, un sourire légèrement sadique commençant à étirer ses lèvres.
Il n'avait encore jamais vu l'Autrichien avec cette expression sur le visage. Il semblait souffrir à cet instant, comme brisé, incapable de lui répondre malgré sa bouche entrouverte.
- C'est cette femme qui vous met dans cet état ?
Mozart reporta enfin son regard vers lui, déglutissant avant de déclarer d'une voix méconnaissable :
- J-je dois y aller... Me sent pas bien... Je- Faites des excuses à l'Empereur de ma part !
Il fourra son verre de vin rouge à peine entamé dans les mains de Salieri et prit la fuite en dehors de la salle de réception.
Alors c'était vraiment cette femme qui mettait ce jeune écervelé dans cet état ? Intéressant.
Salieri but une gorgée de vin, rassuré, des arômes aigres et fruités se déposant agréablement sur sa langue. Il allait forcément biens'entendre avec cette femme.
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Ce N'est Pas Un Jeu
FanfictionBien plus que la haine qu'ils vouaient tous les deux à Wolfgang Amadeus Mozart, il y a autre chose qui rapprocha Antonio Salieri et Aloysia Weber. Mais ces deux là étaient loin de se douter que ce qui ne devait être qu'un simple échappatoire à leur...