1 • Né de rien • 1

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Ian, pensif, observait le paysage défiler par la fenêtre du train à sustentation magnétique.
Rien que des bâtiments gris et mornes.
Cela faisait déjà plusieurs kilomètres que les belles résidences au formes excentriques du centre-ville avaient disparu, laissant place à ces façades ternes et ces quartiers sans vie.

Il détourna la tête, portant plutôt son regard vers l'intérieur du train.
Rien d'extraordinaire, non plus : les banquettes grises élimées laissaient apparaître une mousse synthétique jaune, le sol, qui n'avait certainement jamais eu l'occasion de rencontrer de robot, s'en trouvait couvert de crasse, et c'est à peine si on pouvait distinguer le paysage à travers le capot de verre.

Quand il en aurait fini avec cette dette, il pourrait enfin faire l'acquisition de sa propre cabine.
Du moins, s'il parvenait à s'en sortir un jour...
Il savait ce qu'on disait des in... hum, des gens comme lui ; ils passaient souvent le restant de leur vie à travailler pour rembourser, et il revenait même parfois à leurs enfants de compléter.
Mais, dans son cas, ce serait différent.
Et c'était une affirmation.
Il parviendrait à surmonter cette situation, il lui suffirait juste de sauter sur l'occasion quand elle se présenterait à lui.
S'il était arrivé jusque là, c'était un signe, non ? 

Il soupira ; la vie était bien injuste.
Contrairement à ses collègues de cours, pour qui leurs parents, de classe A, payaient tout, Ian devait s'endetter et creuser encore et encore ce gouffre qu'était son déficit pour continuer son brillant cursus, tout en attendant qu'un miracle se produise.

Retrouvé dans le coma quinze ans plus tôt, dans des ruines qui étaient auparavant un camp rebelle, Ian avait, par on ne sait quel prodige, survécu.
Les autorités en place, chargées d'éradiquer les groupes de rebelles, dont faisaient partie ses parents, avaient détruit leur village de fortune.

Ian s'était caché, apeuré, mais, après que tout le monde eut quitté le village, il s'était retrouvé seul, tentant désespérément de survivre en grignotant des miches de pain calciné trouvées çà et là.
Les soldats avaient tout emporté, si bien qu'il n'avait rien eu pour se réchauffer, et du haut de ses quatre ans, il avait tout bonnement été incapable d'allumer un feu.

Ainsi, il avait fini par abandonner et se laisser mourir de froid.

Mais, par une chance inouïe, un groupe de chercheurs était arrivé pour faire un compte-rendu de la faune et de la flore hivernale, pour constater leur évolution après les combats nucléaires des siècles passés, et pour aider à décontaminer l'environnement.

Ils l'avaient retrouvé dans le coma, et l'avaient d'urgence emmené dans leur Sethiste, un appareil volant, où ils avaient tout un équipement qui avait permis la réanimation d'Ian.
Pour ainsi dire, ce dernier était un miraculé.

Il avait ensuite été ramené en ville, et, grâce aux scientifiques, qui avaient fait l'éloge de ses conditions physiques et de son système immunitaire hors du commun, il n'avait pas été déclassé en classe D, mais en classe C, et placé dans un orphelinat.

La société, depuis sa renaissance à la suite de La Fin, avait évolué en classes : la classe A étant l'élite, les B et C représentant près de quatre-vingt-dix-sept pour cent de la population, et la D, les enfants de rebelles.
Les D étaient voués à demeurer dans l'ignorance, n'avaient même pas l'occasion de poser les pieds dans une école, et recevaient juste une formation pour le métier auquel ils étaient destinés, souvent ingrat et rabaissant. 

Les classes B et C recevaient une éducation sommaire, apprenant juste à lire, à écrire et à compter.

L'Etat, et ça, Ian le savait depuis qu'il traînait avec des classes A, tenait à tenir la population dans l'ignorance pour éviter toute forme de soulèvement.
Les textes  avec lesquels ils apprenaient à lire n'étaient autre que des spots de propagande pour l'Etat.

Et la classe A, représentant seulement deux pour cent de la population était pour ainsi dire l'élite.
Ils avaient accès à une éducation optimale, dès leur plus jeune âge, se couchaient chaque soir le ventre plein et s'habillaient de combinaisons resplendissantes dernier cri.

Pour en revenir à Ian, grâce aux scientifiques, il était entré à l'école comme chaque enfant des classes B ou C, pour apprendre les bases. 
Mais les professeurs s'étaient bien vite rendu compte de ses qualités intellectuelles et physiques bien supérieures à la normale, et en avaient informé le ministère, qui avait décidé de le transférer avec les élèves de la classe A.
Un élève aussi intelligent aurait pu développer son esprit critique par lui-même et semer le trouble.

Cependant, en ces temps qui demeuraient durs, Ian se devait de rembourser ses études supérieures en astrophysique, par ses propres moyens.
Lui n'avait pas de parents riches pour les lui financer, contrairement à ses collègues.
De plus, les autorités voyaient d'un mauvais œil le fait qu'un jeune homme, qui aurait dû être à la base en classe D, puisse être formé avec des classes A.
Ian imaginait qu'ils devaient se maudire de ne pas l'avoir laissé en classe D.

Ian reporta son attention vers le triste paysage.
Il n'y avait pas âme qui vive dans les rues, à cette heure-ci.
Le jeune homme rentrait en général en pleine nuit chez lui, car il devait faire de petits boulots afin de rembourser sa dette. Non seulement ses études, mais aussi tout ce qu'avait pu lui apporter l'Etat par le passé ; sa nourriture, ses habits, son toit, ses soins...
Après ses heures de cours et ses révisions, Ian allait donc travailler, souvent chez des commerçants, à l'usine ou encore dans des bureaux en tant qu'agent d'entretient.
Autant dire que son sommeil en pâtissait 
Tout ça en l'attente qu'une mission dans l'espace lui soit proposée.
Mission qui n'aurait certainement jamais lieu, sauf s'il travaillait d'arrache-pied.
Et encore, rien n'était sûr, car, même s'il était de loin le plus doué de sa classe, il n'avait pas la garantie de pouvoir être sélectionné.
Cela pouvait prendre des années, voire une éternité du fait de son statut social.

Il poussa un profond soupir ; quelle injustice !
Une lumière s'alluma au coin de son œil ; l'implant dont ce dernier était pourvu lui permettait de recevoir directement ses messages et d'être immédiatement informé des dernières nouvelles.
Tout le monde en possédait au moins un à l'œil droit.
Enfin, tout le monde, excepté les classes D, bien sûr.

Cette lumière le notifiait qu'une réunion générale aurait lieu le lendemain pour tous les étudiants de son école, qui comportait près de six mille élèves.
Certainement encore l'une de ces conférence bateau pour leur rappeler à quel point ils étaient importants pour l'avenir du monde, et j'en passe.
Il haussa les sourcils et fit disparaître le message de sa vue.

Ian descendit au terminus.
Il avança à grands pas vers son immeuble, dans un silence de mort.
Il emprunta l'ascenseur, jusqu'au troisième étage, où il s'arrêta devant une porte grise close.
Il colla son œil devant le capteur, qui ne mit que quelques secondes à reconnaître son iris bleu pour lui déverrouiller la porte.

Voilà le premier chapitre ! N'hésitez pas à me dire si vous voudriez que les prochains soient plus ou moins longs et à me donner votre avis. J'accepte volontiers la critique, pourvu qu'elle soit constructive. Je ne suis pas sûre d'avoir été très claire quant au fonctionnement des classes, etc. Si ce n'est pas le cas, précisez-le moi, j'y apporterai quelques modifications pour faciliter la compréhension à de futurs lecteurs. 


AchlysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant