Aujourd'hui, c'était le grand jour.
Ce jour qu'Ian avait attendu toute sa vie durant.
Ce jour qui ferait de lui, enfin, un homme libre.
Ce jour, qui, au contraire, signerait définitivement son infériorité vis-à-vis des classes A, le contraignant à travailler jusqu'à son dernier souffle pour des supérieurs roulant sur l'or.
À l'issue de ce jour, le cours de sa vie s'en trouverait bouleversé à jamais.
Ce jour resterait gravé dans la mémoire de chacun, marquant définitivement l'histoire.Ce qui était sûr, c'était qu'Ian n'en sortirait pas inchangé.
À cette idée, ce dernier sentit une boule d'appréhension se former au creux de sa poitrine.
Son cœur se serra, comme broyé par une force invisible.
Cette même force qui le faisait trembler de tous ses membres quand il pensait à son avenir qui était en jeu.
Une mission comme celle-ci ne se présentait qu'une fois dans la vie d'un astronaute.
S'il la manquait, il pouvait s'estimer perdu.Le jeune homme s'appliqua à inspirer profondément afin de refouler tout ce stress emmagasiné depuis ces derniers jours.
D'un naturel plutôt calme, c'était bien la première fois qu'il se laissait submerger ainsi par ses émotions.
Mais cette fois-ci, il était dépassé...
Depuis qu'il avait déposé sa candidature, il tournait en rond, pareil à un lion dans sa cage, bouillant intérieurement à l'idée que son avenir puisse être en train de se concrétiser ou non, à mesure que le comité de sélection étudiait les dossiers des candidats.
Ian était bien incapable de se concentrer sur quoi que ce soit.
Comment pouvait-il, alors que les hommes les plus puissants de la planète étaient en train de choisir les cinq heureux élus qui participeraient à la mission ?
Et, par conséquent, en train de décider de son sort.
L'idée que sa vie puisse être entre les mains d'une poignée d'hommes surpuissants et imbus d'eux-mêmes le répugnait.
Mais il devait s'y résigner, malgré tout, croisant les doigts pour qu'un d'entre eux le prenne en pitié...Le jeune homme jeta un dernier regard à son modeste appartement, avant de passer le pas de la porte.
Il scanna distraitement son iris bleu afin de la vérouiller, puis tourna les talons.
Il emprunta un bon nombre de couloirs, avant de déboucher sur la rue.
À l'image de l'immeuble dans lequel il vivait, cette dernière était terne et sans vie.
Elle faisait partie des premières à avoir été créée, après les guerres nucléaires.
Ainsi, les bâtiments étaient gris et fonctionnels, sans aucun artifice.
Bien évidemment, et en contraste avec le centre dans lequel les classe A vivaient, ils étaient dépourvus de la moindre trace de technologie, et, qui plus est, de confort.La rue, quant à elle, était d'une saleté repoussante.
Des débris divers joncheaient le sol, tapis d'ordures dans lequel les plus démunis cherchaient de quoi subsister.
Les quelques arbres qui bordaient un semblant de trottoir faisaient peine à voir, chétifs et maigres signes de vie dans ce quartier désert.
Ian avait en effet rarement vu du monde ici.
La plupart des immeubles étaient abandonnés, et l'hostilité du quartier semblait avoir déteint sur les quelques personnes l'occupant.
Taciturnes et le regard vide, jamais aucune d'entre elles n'avait salué Ian.
Oh si, une fois, ces petits qui jouaient avec un bout de ferraille rouillé.
Ils lui avaient souri, oui.
Mais le jeune homme se serait bien passé de la vue déchirante de ces pauvres enfants décharnés aux joues creusées.
Ian avait dû apprendre à ne plus faire attention à ce triste paysage, qui n'était qu'indigence et désolation, jurant terriblement avec celui du centre.Après quelques minutes de marche, le jeune homme finit par arriver à la station.
Le train à sustentation magnétique, énorme serpent de cristal, semblait l'attendre.
Ian longea le quai, pour atteindre les cabines du fond, destinées à ceux qui n'avaient pas les moyens d'acheter la leur.À travers la paroi crasseuse de la cabine, le jeune homme put bientôt voir les tristes quartiers des classes inférieures laisser place à de magnifiques et luxueux bâtiments de cristal, de carbone et autres nobles matériaux.
Le centre respirait la splendeur, la richesse et l'opulence.
Tout, ici, était conçu pour être vu, admiré, respecté.
Tout avait été érigé dans le seul et unique but d'époustoufler, d'impressionner, d'émerveiller.Le train s'arrêta dans un chouintement sinistre, et Ian se leva.
Il épousseta machinalement sa combinaison, comme pour en chasser des miettes invisibles.
Cette dernière, d'un gris gris métallisé, lui avait bien valu plusieurs nuits blanches.
Mais il n'avait pas eu le choix.Pouvait-il seulement se permettre de porter sa vieille combinaison délavée, alors que la planète entière assisterait à la grande sélection ?
S'il était choisi, le monde entier serait en train de le regarder, suspendu à ses lèvres à mesure qu'il prononcerait son discours.
Il rêvait, il en était conscient, et ses chances qu'un tel miracle se réalise étaient très minces, voire inexistantes...
Mais il fallait garder espoir jusqu'au bout.
Il ne pouvait tout bonnement pas baisser les bras maintenant, si près du but... Ou de la fin.Dans tous les cas, sélectionné ou non, il se devait de porter une combinaison digne de ce nom.
Il ne pouvait pas se permettre d'arborer sa vieille combinaison délavée, alors que tout le reste des étudiants en porteraient des flambant neuves.
Et puis, au moins, s'il s'effondrait devant la Terre entière si son nom n'était pas annoncé, ce serait en beauté.Ian dut jouer des coudes pour se frayer un chemin à travers la foule jusqu'au building où devait se tenir la réunion.
La place grouillait de monde ; étudiants candidats accompagnés de leur famille ou de leurs amis ; reporters aux miniscules caméras flottant au-dessus de leurs têtes ; badauds venus assister à cette assemblée historique...
Tous échangeaient joyeusement, excités et impatients, lançant des paris quant aux futurs résultats.
Cette ambiance était à mille lieues de ce que pouvait ressentir Ian à ce moment présent.Le jeune homme se sentait comme oppressé.
Les sons se confondaient, pour ne plus former qu'un brouhaha insupportable aux oreilles d'Ian.
Il fut pris d'un haut-le-coeur, et se plia en deux de douleur.
Hors de question de flancher maintenant !
Cependant, le manque de sommeil de ces dernières semaines commençait à se faire sentir.
Il n'avait dormi que quelques heures, tout au plus, durant ces derniers jours.
Le jeune homme avait ingurgité des doses telles de café qu'il n'aurait pas été surpris si on lui avait annoncé que de la caféine pure coulait à présent dans ses veines.
Autant dire que son hygiène de vie laissait à désirer, et il en subissait à présent les conséquences, se retenant avec peine de rendre sa dernière tasse de café."Et vous pouvez constater que, si cette journée est des plus excitantes pour certains candidats, elle peut s'avérer particulièrement éprouvante pour d'autres ! fit soudain une voix distincte près d'Ian. Alors, jeune homme, comment appréhendez-vous cette sélection ?"
Nauséeux, l'intéressé se redressa, non sans peine, pour découvrir une dizaine de caméras braquées sur lui, pour reconstistuer en direct son image sur les chaîne interplanétaires.
Il retint un florilège de jurons en apercevant son hologramme géant sur l'immense écran en face de lui.
Il fit une maigre tentative de sourire, qu'il stoppa net en apercevant l'horrible rictus qui barrait son visage sur l'écran géant.
Ian se racla la gorge, affreusement gêné devant les centaines de visages qui s'étaient brusquement tournés vers lui."Eh bien, écoutez, je vis cette expérience avec beaucoup de recul. Je serais honoré d'être sélectionné, comme tous les candidats..."
Le journaliste hocha la tête, l'air entendu, retranscrivant ses paroles :
"Eh oui, en effet, ce jeune homme est vraiment, comme tous les candidats, très stressé à l'idée de cette sélection !"
Aussitôt, lui et sa quelque vingtaine de caméras détournèrent leur attention du jeune homme pour aller interviewer un groupe d'étudiants aux combinaisons clinquantes."Foutus journalistes", marmonna Ian entre ses dents.
Tout ce qu'ils cherchaient, c'était attirer l'attention, trouver des sujets qui attiseraient la curiosité des spectateurs.
Il les maudissait pour l'avoir ainsi pris au dépourvu, dans une situation aussi peu valorisante... Au bas mot.
Ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait, malheureusement...
Au moins, la poussée d'adrénaline provoquée par cette soudaine interview avait-elle eu raison de sa nausée...Brusquement, toutes les voix se turent.
Trop occupé à pester contre les journalistes, Ian n'avait même pas aperçu M. Rainbow et le directeur qui venaient d'apparaître sur une petite estrade devant le building.
Ils saluèrent chaleureusement la foule, avant d'enchaîner sur un discours dans lequel ils relataient l'importance de la mission...
Ils expliquèrent ensuite le déroulement de la sélection, avant d'enfin, les inviter à entrer.Enfin, la sélection pouvait commencer.
Enfin, l'heure de vérité avait sonné.Ian prit une immense inspiration, son courage à deux mains, et, refoulant toutes ses pensées négatives, passa le pas de la porte.
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Achlys
Science FictionDans un univers post-apocalyptique, l'humanité renaît peu à peu de ses cendres pour partir à la recherche de planètes aptes à accueillir la vie, après avoir utilisé toutes les ressources de la sienne. C'est dans une situation politique plus qu'insta...