Trois cents ans plus tard...
Adossée au creux de la fourche confortable d'une grosse branche, Mélise crache sans vergogne le noyau de la cerise qu'elle vient de croquer pour en faire jaillir le jus. Un fruit à peine mûr, acide, mais délicieux. Elle observe la chute de la petite chose où s'accrochent encore quelques bribes de pulpe sanguinolente, qui échoue sur la coiffe empesée de sa gouvernante, la très plantureuse Olna. Douce revanche de regarder la tache violine s'agrandir sur la fine dentelle.
En bas, l'horrible bonne femme s'égosille avec outrance et affole tous les volatiles alentours. À cette vitesse, le lait tournera dans la mamelle des vaches ou, dans le meilleur cas, sortira déjà transformé en beurre... Juste au-dessous du chêne où son élève a trouvé refuge. Secouée d'un rire silencieux, Mélise s'empresse de tirer de la poche de son tablier un nouveau fruit dont le jus dégouline sur son menton quand elle le croque. Sans respect des bonnes manières, elle s'essuie d'un revers de manche et note au passage la traînée violette laissée sur le poignet de sa robe.
Voilà qui lui vaudra, comme son escapade, une bonne correction. De préférence, avec l'une des baguettes de noisetier qu'affectionne la vieille harpie. Goûter à plusieurs heures de liberté et se conduire en petite peste, en toute quiétude, mérite bien d'avoir de la peine à s'asseoir pendant un temps que l'adolescente espère limité.
Enfin tranquille... Mélise soupire de bonheur. Elle libère son opulente chevelure bouclée du ruban dont l'a affublée Olna. Au matin, la gouvernante lui a enserré le crâne, sans aucune douceur, ce morceau de satin, pour bien emprisonner chaque mèche. Bien sûr, quelques accroche-cœurs rebelles et malicieux se sont dérobés pour chatouiller le front têtu et les joues rondes de la jeune fille. Cette révolte bouclée a suscité l'énorme frustration de son bourreau, décidé à poursuivre la séance de torture jusqu'à ce que mort s'en suive pour chaque révolutionnaire chevelu. À la première occasion, Mélise a fui à toutes jambes.
De loin en loin, elle capte la voix puissante hurler son nom à tous les vents, mais se garde bien de bouger un orteil. En mauvaise élève, la jeune fille échappera au programme de la matinée : leçons en tout genre pour future jeune fille accomplie. Maintien, broderie, couture, dessin, musique, danse, jardinage, conversation de salon... Autant d'activités passionnantes qui la révulsent.
Elle, rêve de monter à cheval, de battre la campagne, de s'amuser comme lorsqu'elle était encore une enfant comme les autres et que personne ne s'étonnait de la voir grimper aux arbres. En ce temps-là, la gamine espiègle pouvait capturer des grenouilles dans les mares environnantes et revenir crottée jusqu'aux sourcils sans essuyer plus que les protestations scandalisées de sa vieille nourrice.
Les journées filaient, à baguenauder avec des petits vauriens de son âge, à traîner dans les vergers pour dérober des fruits à peine mûrs dont l'acidité les ravissait, à fabriquer arcs et flèches pour des compétions impromptues... Puis un jour, toutes ses passionnantes activités lui ont été tout simplement interdites.
Monter à cheval se limite depuis à des promenades en amazone, au pas, telle une dame, dans les allées du parc. Plus question de galoper à califourchon, cheveux au vent. Pour mieux lui inculquer tout le savoir indispensable à une future épouse, elle subit depuis déjà deux très longues années l'insupportable férule d'Olna, bien décidée à briser la résistance de cette héritière mal élevée et que la propre mère de l'enfant lui a demandé de transformer en cygne gracieux.
Et depuis peu, les choses se gâtent.
Comme toutes les jeunes filles de son âge, à l'automne, Mélise sera présentée dans le monde : à la Cour de la Reine Béryl en présence de la souveraine. La «Présentation». Dans la bouche d'Olna, le mot tinte comme l'aboutissement de toute chose... Pour Mélise, l'évènement ne représente qu'une nouvelle étape de son calvaire, car à l'approche de ce "grand" moment, la matrone perd toute mesure.
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LE PRINCE ENDORMI...
FantasyAsfrane, un royaume isolé, battu par des vents glacés, couvert de neige et de glace, le temps d'hivers interminables et rigoureux. La superstition règne et répand la crainte dans les esprits... Le pays végète et refuse tout progrès. Le Prince Gaë...