Fend'air

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Son visage me fixait. Je n’étais visiblement pas le seul à être étonné, vu son air perplexe.

- Depuis combien de jours tu m’espionnes? Déclara-t-elle, passant peu à peu de la surprise  à la colère

- Jours? Je t’ai vue pour la première fois ce matin, je pense que tu le sais bien d’ailleurs.

- Non, tu ne comprends pas, je suis la seule à connaître cette formule, je ne suis pas dupe, tu l’as apprise de ma propre bouche, aussi sûr que je suis une fille!

Cette fille pratique la même religion que moi, c’est sans aucun doute.

- Écoute-moi, nous sommes tous deux pratiquants de l’Ancienne religion …

Ne me laissant pas le temps de finir, elle me coupa la parole, l’air dubitatif.

- Cette seule prétention prouve que ce n’est pas le cas. Je suis la dernière pratiquante d’une religion oubliée. Ça, je le sais mieux que quiconque. Dit-elle sèchement.

- Tu ne me crois pas? Si tu veux que je te le prouve, tu vas être satisfaite.

J’enchaînai immédiatement, voyant une certaine curiosité se dessiner sur son visage.

« Lorsque j’ai mis le pied dans le cercle, je me suis rappelé par la suite que c’était une erreur, qu’un rituel ne doit pas être perturbé, et surtout pas en brisant le cercle, ce que j’ai fait en entrant dedans. Mais tout ça, tu le savais déjà, or, je n’ai pas pu l’apprendre de toi, car tu n’as jamais fait de rituel autrement que seule, il t’était donc impossible de briser le cercle, car tu étais inévitablement dedans. »

Troublée, elle s’assit brusquement sur la terre boueuse. La main enfouie dans son visage, elle paraissait en intense réflexion, mais son visage m’apprenait en plus qu’elle était troublée. Un long silence s’en suivit, je n’osai pas le briser, de peur de commettre quelques maladresses, alors j’attendis patiemment.

« Tu… tu viens du Nord toi aussi? » chuchota-t-elle enfin

« Nord? Non, je viens de quelque village aux alentours, mais je ne m’en souviens pas, j’ai passé toute mon existence ici »

Son sourcil se fronça avant qu’elle réplique :

- Le nord est la seule région qui n’a pas complètement éradiqué l’Ancienne religion, expliqua-t-elle, alors tu viens inévitablement du nord… ou encore, tu as survécu, toi, mais aussi tes ancêtres, à toutes les mesures prises pour notre éradication, ce qui n’a jamais été vu à ce jour. Je te repose donc la question : viens-tu du nord?

C’est à ce moment précis que je compris qu’elle en savait bien plus long que moi à ce sujet.

Nous discutâmes longuement. Elle s’appelait Aure. Son frère était mort dans la grande rébellion qui s’était déroulée il y a presque vingt ans (rébellion inconnue de moi-même jusqu’à ce jour, mes parents n’ayant jamais pris la peine de m’enseigner l’histoire). Elle n’avait jamais même pu voir sa dépouille, ce qui était fréquent, car nombre de corps étaient devenus trop défigurés par la violence pour être reconnus. Ses parents, eux, étaient revenus, mais c’était étendu, sur le chariot des cadavres. Elle avait appris ce qu’elle sait maintenant par le biais d’un cousin âgé, un dénommé Layon, qui l’avait hébergé, mais qui avait aussi complété son instruction générale, mais aussi religieuse.

Le visage au bord des larmes à l’évocation de ce souvenir, elle me conta comment Layon, lors d’un rituel célébrant le solstice d’été, s’était fait prendre par les quelques soldats du roi envoyé au nord. Ce genre d’évènements se révélait rares, le Nord ayant toujours été reconnu comme étant la terre de la résistance, difficile à soumettre, toutefois, l’autorité du monarque restait présente et fort active.

Selon les dires d’Aure, Layon aurait eu le temps de dissimuler sa cousine, avant d’être tué sur place, sans aucune forme de procès. Fort probablement en raison de la tristesse du souvenir, Aure bégayait, s’enfargeait dans ses mots pour ensuite prendre une expression de soulagement lorsque le récit fut achevé. Un long silence s’ensuivit avant que je ne me décide à glisser un mot.

- Aure… mes parents doivent s’inquiéter de mon absence prolongée, je pense devoir retourner chez moi, mais si tu le souhaites, tu peux m’accompagner, je suis convaincu que mes parents seront ravis de t’accueillir. Dis-je, en souriant.

Rapide hochement de tête de sa part. Ma compagnonne commença par saisir le peu d’effets personnels qu’elle possédait pour, par la suite, nous mettre en route dans le but d’atteindre mon logis. Mis à part son drap de cuir, elle possédait deux grimoires qu’elle me montra, me promettant de me les montrer en détails par la suite.

Son rapace ne tarda pas à nous rejoindre, prénommée Fend’air. Aure l’avait hérité de son père et l’avait  dressé selon ses goûts. Un seul sifflement, selon ses dires, aurait suffi à faire atterrir une pierre sur mon crâne si je ne m’étais pas justifié à temps.

Arrivés aux alentours de ma demeure, j’écarquillai les yeux

« Non! Non! »

Deux cadavres, dénués de têtes reposaient sur le sol. Reconnaissant mes parents, je courus jusqu’à eux pour m’affaisser sur le sol. Des larmes coulaient sur mon visage, et mes pleurs se faisaient entendre.

Une lame avait tranché leur tête, amenant ces dernières avec elle et laissant leurs corps inertes à l’emplacement du crime.

AyleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant