Ce que j’aperçois devant moi me surprend plus qu’autre chose : une jeune fille se trouve à quelques mètres de moi, le corps visiblement amaigri par la faim. Je ne sais pas ce qui me prend, mais je perds toute mon agressivité, cette dernière laissant place à une certaine pitié.
C’est la première fois que je vois un autre enfant que moi-même, je suis surpris et commence à la dévisager, me demandant si je ressemble à cela. Mon propre visage m’est presque totalement inconnu. Bien sûr, j’ai remarqué que l’eau reflétait, mais le seul cours d’eau que je connaisse est trop tumultueux pour que je puisse distinguer autre chose qu’une forme ronde, logiquement ma tête, accompagné du reste de mon corps, tout aussi flou.
Ses cheveux sont longs, mais ce n’est sûrement pas que par coquetterie, car ils sont aussi très sales et amènent une impression de désordre dans son visage, Son visage, d’ailleurs, reflète une expression que j’ai rarement vue : la panique.
Un coup d’œil sur ma dague me fait immédiatement comprendre la cause de son inquiétude, je laisse donc tomber mon arme, en essayant d’entamer une discussion :
- Que… Que fais-tu? Ceci est à moi, tu ne peux pas me le voler comme ça… lui dis-je tranquillement
Réfléchissant à ce que je viens de dire, j’ai honte de moi-même. « Égoïste » pensai-je « c’est la seule personne environnant ton âge que tu croises depuis que tu as vu le jour, elle a l’air affamé et je lui réclame de la nourriture, moi qui ai le ventre plein ».
Je corrige donc le tir :
- Euh… tu sais, on peut toujours partager…
Soit je n’ai aucun tact ni aucun charme, soit je suis bougrement naïf, car, le sourire aux lèvres, elle me répondit du tac au tac :
« Je te fais remarquer que, maintenant, ce lapin m’appartient. Si tu observes bien, il se trouve en ce moment même dans ma main »
Après quoi elle partit au triple galop. La forêt des rois possède une densité inégalée : il suffit de s’avancer d’une quinzaine de mètres pour être impossible à détecter. Encore abasourdis par sa réponse, j’écartai la possibilité de la poursuite, préférant rester immobile à essayer de gober cette réponse. Pour une première rencontre, c’était toute une première rencontre…
Toutefois, je n’avais pas dit mon dernier mot. Je repris donc ma dague et entreprit d’user de mes talents de pisteur. La course à pied possède l’avantage d’être retracé facilement. Les traces laissées par la pointe des pieds sont toujours profondes et printemps rime inévitablement avec boue, ce qui me facilita la tâche. Je ne courus pas plus d’une cinquantaine de mètres que je la vis, ralentissant le pas pour ensuite grimper dans un arbre où elle s’éclipsa à nouveau.
Ce que je comptais faire une fois que je la tiendrais? Peut-être me fâcher, mais mon réel but était d’en savoir plus. Ma curiosité étant mon plus vilain défaut par moments, ma plus grande qualité à d’autres. Ensuite, je n’étais pas satisfait par le peu d’informations que j’avais pu déduire de son physique. À cela s’ajoutait le fait que, depuis bientôt une douzaine d’années, nous vivons ici même, et depuis autant de temps mes parents explorent les alentours de fond en comble, sa présence n’aurait pu passer tant d’années inaperçue que grâce à un miracle et même si la magie rentrait en compte, sa présence dans la forêt des rois n’en serait pas plus expliquée.
Un son continu me tira de ma réflexion. La jeune fille, du haut de son arbre, n’avait pas fini de siffler qu’un rapace se pointa et disparut également dans le feuillu. Me déplaçant de quelques pas, je réussis tant bien que mal à les apercevoir, tous les deux. La voleuse, après avoir caressé le corps du rapace, lui donna un morceau de viande qu’il ne tarda pas à avaler et il n’est pas besoin d’un cerveau de savant pour comprendre que mon gibier venait de disparaitre dans l’estomac de l’animal.
Le rapace fût facilement identifiable. Ses courtes ailes ainsi que sa grandeur sont les caractéristiques principales des autours. J’en ai déjà vu, une fois. J’étais allé chercher des écrevisses dans le ruisseau lorsqu’une de ces oiseaux de proie a foncé sur un mulot, à quelques mètres de moi. Ma présence ne l’avait aucunement effrayé et il repartit aussi vite qu’il était venu.
Peu après, la jeune fille descendit une première branche et avant que la deuxième ne fût passée, j’étais déjà dissimulé derrière un arbuste broussailleux. L’oreille attentive, je compris d’après le bruit de ses pas qu’elle s’éloignait tranquillement. Lorsque le son fût devenu presqu’imperceptible, je hasardai un regard. La voie était libre, et même si l’aventure comportait son lot de risques, elle n’en valait pas moins la peine. Je me hissai donc branche par branche, après avoir déposé mon matériel au sol, pour atteindre l’endroit où elle devait dormir. Un drap de fortune, fait en cuir, était reliée à l’arbre ainsi que ses ramifications dans le but de former un hamac. Ne voyant rien d’autre et étant quelques peu déçu, je descendis lestement pour reprendre mes armes.
Une fois à terre, je jugeai bon de rentrer : le soleil indiquait midi et ma famille n’avait pas l’habitude de me voir délaisser le diner. J’allais me diriger vers mon habitation lorsque je ressentis une puissante énergie circuler dans l’air. D’abords très surpris, je compris qu’elle émanait de ma gauche.
Je ne fis pas plus de qu’une vingtaine de pas avant de remarquer, à ma grande surprise, la lueur d’un feu. M’avançant furtivement en direction des flammes, je pus remarquer qu’un cercle composé de gros grains de sel les entouraient et que l’adolescente se trouvait là, en pleine prière.
« Élément du feu, accorde-moi ta vivacité d’esprit, ta passion et ton enthousiasme »
« Ainsi que ton endurance et ton ambition » complétais-je, et je mis un pied dans le cercle.

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Ayle
HistoryczneAyle, c'est mon nom. Je suis un jeune garçon vivant reclu avec mes parents, adepte de l'acienne religion, religion ancienne et oubliée de la plupart... Histoire médiévale-fantastique, la suite arrivera sous peu!