Six

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Un jour de chaleur torride, Tallulah m'emmena sur les grands boulevards. Je m'étais docilement allongé dans le fond de son sac, soucieux de la foule, et le soleil vrillait mon crâne de sorte à ce que mes yeux fussent deux fentes pressées et acculées.
La lumière, violente, estivale, grimpait aux murs pour y goûter, s'étendait sur les passants dans un murmure rapide et brutal. Des éventails fouettaient les visages blêmes, la sueur coulait le long des aisselles tiédasses. L'haleine des plaques d'égout devenait insupportable pour les mollets, qui s'empressaient de fuir la cohue. Le mouvement de la foule, en attente devant la circulation ou tourbillonnante dans la rue, embarquait Tallulah. Ses sandales claquait le bitume brûlant, et son grand chapeau lui donnait l'air d'une de ses touristes anglaises et de leur grandes lunettes de soleil.
Talluah, l'œil vif et sombre, avançait efficacement, jusqu'à son objectif. Elle n'avait pas le temps de se laisser distraire. Idriss l'attendait.

Arrivée dans le hall d'hôtel où il lui avait donné rendez-vous, l'air frais de la climatisation la gifla. Un frisson de chaleur caressa sa peau ardente afin d'y mourir, la césure la désorientant quelques instants.
Elle papillonna jusqu'au bar chic et s'y assit, pantelante, des points lumineux cognant son crâne. Il était alors midi quarante six, et Idriss se trouvait à un kilomètre trois, coincé dans les embouteillages, amas de carcasses métalliques cuisantes.
Ma douce maîtresse se fit servir un verre d'eau glacée, et me tapota le museau avec ses doigts mouillés, afin de me rafraîchir quelque peu.
Mon poil, assez court, me permettait en partie de me protéger des hautes températures, mais j'accueillis avec délice ces perles d'eau claire, qu'elle dissémina par la suite sur ma fourrure noir et vrillante.
Les hauts parleurs diffusaient une opérette de fond sonore, et bientôt nous nous mîmes tous deux à observer l'ambiance étrange de l'hôtel. Plongé derrière de grandes vitres tintées, le souffle de la rue semblait s'être vu barré le passage, et avait déserté l'endroit.
Les fauteuils vidés, l'heure du déjeuner primant, un sommeil vague semblait s'être abattu sur le sol, et des vagues de poussière voguaient jusqu'au comptoir. Le barman, nettoyant les verres de whisky avec un chiffon blanc, avait le regard las, maladif et tendre. Deux jeunes hommes en costumes s'étaient isolés dans un coin, et poursuivaient une discussion animée en faisant de grands gestes avec leurs mains, tendues à l'extrême. Idriss n'était pas là. Tallulah aimait la simplicité, mais souvent son visage se muait en un masque imperméable. Son regard porté au loin, sans attente, sans que l'on puisse rien y voir.
C'est dans cet esprit là que nous attendîmes Idriss pendant une heure. Elle baissait souvent les yeux, m'offrait un sourire mince et indulgent, une caresse parfois.
La première demi-heure passée, elle descendit du tabouret sur lequel elle s'était tenue perchée tout ce temps, et gagna un canapé. Désormais, il ne restait plus que le barman, et celui-ci lisait un journal, son crâne seulement visible au dessus du comptoir, car il s'était assis.
Tallulah me fit sortir du sac et me prit dans ses bras. Elle me berça quelques minutes, la tête lourde et le corps saisi d'un sentiment de fatigue bienveillante.
Ainsi, elle finit par se loger elle-même dans les plis de cuir du canapé, enfouie dans le silence seul, rythmé par les battements de nos deux cœurs, lents, semblables.
Nous nous endormîmes, blottis l'un contre l'autre, une boule de chaleur douce reliant nos deux corps.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 15, 2018 ⏰

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