La Soixante-huitième

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Assis là depuis maintenant huit heures du matin, il écrit. C'est ce qu'il a toujours su faire de mieux. La lumière bleu vibrante de son ordinateur lui faisait mal à la tête et le sang fusait dans ses tempes. Il n'a pas bougé depuis qu'il est revenu de sa pause déjeuner, ayant ce dossier volumineux à boucler pour de bon, assis à cette même chaise d'une couleur grise sans âme, en face de cette table supportant chacune de ses affaires de bureau. Le son des touches qui claquent sous ces doigts est son quotidien.

Il est le bon cliché de l'homme travailleur, coincé dans une routine ennuyante où il se lève pour travailler et s'endormir le soir dans un lit peu confortable aux vieux ressorts qui grincent. Il en oublit pourquoi il vit, juste il le fait, de façon insouciante car c'est ce qu'il doit faire.

Aujourd'hui, il rentrera plus tard que les autres jours chez lui, il en a décidé ainsi. Il a quelque chose de très important à faire, à écrire. La nuit était tombée depuis plus d'une heure, il pouvait même percevoir les moniteurs clignotants des voitures s'agiter dehors, c'était l'heure de pointe. Tout ses collègues avaient déjà quitté le bureau, laissant le jeune homme et la pièce dans un noir silence de solitude, vidé de toute énergie motivante.

La climatisation avait arrêté de tourner et il commencait à ressentir les douloureux effets de la chaleur qui l'a déjà rendu si épuisé. Mais tout ces petits détails d'une journée bien malheureuse cache en fait un jour bien attendu. Il a d'ailleurs tout préparer tôt dans la matinée jusqu'à tard le soir afin de rendre cette journée parfaite. Il ferma rapidement ses dossiers rédigés bien minutieusement. Il alla les déposer dans le casier de son patron et éteigna la dernière lumière, celle qui éclairait son bureau. Il prit son manteau qu'il attacha de ces quatre boutons et son sac encuir abîmé par le temps. Il passa la porte de ce bureau qu'il connaissait par cœur et la ferma à double tour. D'un pas enjoué il quitte son lieu de travail.

Ayant peur de ne pas arriver à tant avant la fermeture de la papeterie, il se pressa d'une marche rapide et peu gracieuse de rejoindre sa destination, entre le konbini et la pharmacie. Voyant la lumière dans le magasin, il pousse un soupir de soulagement. Sans perdre de temps il sautille en direction de ce petit bazar.
Par habitude, il entra dans le magasin, tourna à gauche et prit un aussi vieux que beau papier de l'époque ainsi qu'un set de feutres et passa rapidement à la caisse de justesse avant la clotûre. Il repartit aussitôt qu'il était arrivé saluant la vieille dame derrière le comptoir et traversa la route qui le séparait de son appartement.

Sans perdre une minute, il monta quatre à quatre les marches jusqu'au 4ème étage, sortit ses clés dans la hâte, manquant de les faire retomber au premier, et enfin déverouilla la grande porte de son appartement. Il propulsa son sac tel un missile sur son petit lit et ôta son long manteau s'en débarassant aussi brusquement qu'il l'avait fait avec son porte-tout, tout ceci dans la précipitation et l'excitation.

Il s'avance vers son bureau et s'asseoit sur sa sellette. Il est impatient de commencer.
Un homme nouveau, bien plus vivant apparaît alors. Comme si, seulement lorsqu'il s'asseoit sur ce tabouret stylo en main, il existait enfin. Il prend une des feuilles qu'il vient de s'acheter la piochant dans le sac en plastique provenant du magasin, un stylo disposé sur son bureau, et déterminé c'est alors qu'il commence à écrire une lettre bien spécial, pour son père.

1er Juillet 2019

«Rien de bien nouveau. »

Chaque fin de semaine, il décrit jour par jour ses journées et se confesse. Il fait le compte rendu d'une semaine entière, et lorsqu'il ne trouve rien d'intéressant à raconter à son père, il lui arrive de passer quelques journées à la trappe. Il lui parle juste de comment se passe sa vie ici, qui est bien monotone. C'est sa soixante-huitième lettre.
Il continue.

La Soixante-huitièmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant