Chapitre 3

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Je resserre la couverture de survie autour de moi alors qu'un policier me demande de répéter la même chose pour la 5ème fois. Je suis assise sur le rebord de l'arrière d'une ambulance et mes pieds se balancent dans le vide. Mécaniquement, je dis :

-Il s'est retourné ...

Il m'interrompt.

-"Il" ?

-L'homme.

-Vous êtes certaine que c'était un homme ?

Mes lèvres tremblent.

-Non.

-Donc ça aurait pu être une femme ?

-Oui.

Il soupire, pas très avancé.

-Décrivez-moi la silhouette.

-Je... elle était... je n'ai pas bien vu. Elle était floue. Je marque un temps. Cagoulée.

-Mmh, m'encourage le policier. Et ensuite ?

-Elle nous a vu...

Un léger bourdonnement commence à résonner dans mes oreilles. Je déglutis avec difficulté.

-La silhouette nous a vu et... elle a... elle s'est avancée. Un peu. Je ... je n'arrivais pas à bouger. Elle a ouvert la fenêtre. Le bourdonnement se fait de plus en plus fort dans mes tympans. Et elle a sauté, je lâche dans un murmure.

Je n'entends plus rien à présent. Le regard dans le vague, je vois le policier se pencher vers moi, sûrement pour me demander si je me sens bien. Faire des gestes devant mon visage.

Quelqu'un entre soudainement dans mon champ de vision et je sursaute. D'un coup, le brouhaha ambiant reprend. Je lève la tête et Charlie se tient devant moi, debout à côté du policier. Celui-ci déclare qu'il a eu ce qu'il voulait pour aujourd'hui et s'éloigne pour aller discuter avec ses homologues. Charlie s'assoit à côté de moi. Il souffle et quelques secondes de silence s'égrènent.

-Toi aussi ils t'ont fait un interrogatoire comme si t'étais la réincarnation de Jésus ?

Je hoche lentement la tête en restant impassible. Je le sens me regarder.

-Ca va ? Enfin, autant que ça puisse aller. Je veux dire c'est sûr que ...

-Ca va, je le coupe. Je veux juste rentrer chez moi.

Je me lève, les jambes flageolantes. Charlie fait de même et m'observe avec un sourcil levé

-T'as pas quelqu'un chez qui dormir ce soir ? Pour pas être toute seule.

Je me tourne face à lui et le foudroie du regard.

-Tu me prends pour qui ? Ca va très bien, je me débrouille. Lâche moi maintenant.

Je fonce vers la voiture de police où est posée ma veste, l'attrape et marche vers la route devant le campus. Je passe par-dessous les bandes de sécurité rayées rouges et blanches et étonnamment personne ne me rattrape pour me dire que j'ai oublié de donner un échantillon de cheveux et mes relevés téléphoniques depuis 2002.

Je rentre chez moi sans réagir aux passants qui viennent en sens inverse sur le trottoir et sont obligés de m'éviter ou aux voitures qui manquent de m'écraser. J'ai l'impression que le monde tourne au ralenti et que ma tête va exploser à cause du million de choses auxquelles je pense en même temps. Un meurtre. A Berklee. Quelqu'un est mort. Assassiné. Egorgé. Devant mes yeux. J'étais là. J'étais témoin.

Sur le perron de mon appartement, j'ai du mal à insérer la clé dans la serrure à cause de mes mains qui tremblent. Je dois m'y prendre à plusieurs fois et quand je réussis à rentrer je m'appuie contre la porte et me laisse glisser jusque par terre. Je remonte mes genoux contre ma poitrine et ferme les yeux. L'image de Mélina hurlant et pleurant surgit dans mon esprit. Le garçon à lunettes en état de choc.
Je veux juste aller dans mon lit, m'endormir et que tout cela ne soit qu'un mauvais rêve quand je me réveillerai le lendemain.

Malheureusement, quand les premiers rayons du soleil pénètrent par ma fenêtre et éclairent ma chambre, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit, ressassant la même chose non-stop. Pourquoi ? Pourquoi je me suis trouvée là au mauvais moment. Et par quel miracle je m'en suis sortie sans rien.

Je me décide à aller en cours. J'ai beau ne pas avoir dormi et être bien plus secouée que je ne veuille l'admettre, j'ai besoin de me changer les idées et de retrouver mes habitudes. A peine arrivée à Berklee, je m'aperçois très vite que la tâche va être plus difficile que prévu : littéralement chaque élève n'a que ce qui s'est passé la veille à la bouche. Je ressens une forte envie de faire demi-tour mais je me fais violence et me rend normalement à mes cours du matin. A un moment, la prof de philosophie pose une main compatissante sur mon bras alors que je tapote frénétiquement ma cuisse de mes doigts. Elle doit penser que je suis anxieuse de savoir qu'un tueur rode dans Berklee. Elle est loin de se douter que je l'ai vu. Que j'ai tout vu. Quand la sonnerie de midi retentit, je me précipite hors de la classe et vais directement à la cafétéria. Je retrouve ma table du fond. Pendant un quart d'heure, je retourne ma pomme dans ma main. Mon estomac est noué. Deux plateaux se posent devant moi. Je relève machinalement les yeux. Mélina et le garçon aux lunettes s'assoient en face de moi. Ce dernier m'adresse un sourire livide. Mélina n'a pas l'air en grande forme non plus. Elle n'est pas tirée à quatre épingles comme à son habitude. Sa coiffure n'est pas parfaite et sa tenue est anormalement basique. Elle rompt le silence.

-Je ne te demande pas comment tu vas...

Je ne répond rien et elle enchaîne :

-Je disais justement à Forrest, elle capte mon regard moqueur à l'entente du prénom du garçon à lunettes et m'intime silencieusement de me taire. Je lui disais qu'on devrait essayer de parler entre nous.

Je ricane.

-Parler de quoi Mélina ?

C'est le moment judicieux que choisit Charlie pour sortir de nulle part et s'asseoir à côté de moi. Je regarde avec dégoût son plateau où est empilé une pyramide de yaourts aux fruits. Comment est-ce qu'il fait pour avoir autant d'appétit. Il se tourne vers Mélina.

-Qu'est-ce qui se passe ici ?

-Je disais à Erin qu'il faudrait qu'on parle, répète-t-elle. De ce qui s'est passé, essayer de vider notre sac.

-Mais qu'est-ce que tu crois Mélina ? Je persifle. Qu'on va faire une espèce de club pour les troubles traumatiques ? Qu'on va devenir amis et qu'on va se retrouver tous les soirs pour pleurer sur les épaules des uns et des autres ?

-Erin, dit-elle avec un ton calme qui m'exaspère. Tu es dans le déni...

Je me lève brusquement de ma chaise et tout le réfectoire se tourne vers nous.

-C'est bon, vas-y fais le ton truc. Sans moi.

Je tourne les talons et m'en vais, ignorant Forrest qui hèle mon prénom.

J'imagine que vous la connaissez sûrement haha mais au cas où : allez lire de toute urgence la fiction de puthinatorsdreaming intitulée "Joyeux Anniversaire", elle est vraiment TOP c'est la base

Meurtres à BerkleeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant