Chapitre 1 / Partie 3: Aïda

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Les bureaux étaient immaculés de blanc, éclatant contre les habits ébène des employés et des secrétaires. Dossiers ou tas de paperasse contre la poitrine, ils rôdaient comme des oiseaux de proie entre les parois de vitre semi-transparente séparant chaque espace de travail en carrés parfaits. Tout l'étage de l'immeuble appartenait au Boss, puissant fournisseur de drogues illégales, ainsi que ses assistants au service de l'entreprise. Une Aïda méconnaissable s'avança assurément vers son patron, un sourire en coin pendu aux lèvres. On aurait pu jurer qu'elle possédait deux alter-ego différents d'une journée à l'autre : sa robe verte forêt couvrait le haut de ses genoux ainsi que ses avant-bras, ses cheveux rouge foncé voire pourpre étaient attachés en une queue-de-cheval sophistiquée et ses talons hauts lui donnaient un air de femme d'affaires féroce. Chacun de ses pas étaient marqués par un cliquetis sur la céramique opalescente, annonçant sa venue à l'homme qui avait demandé sa présence. Ses contours foncés se démarquaient sur l'étincelante blancheur de la pièce maîtresse, son corps imposant penché sur sa chaise à roulettes comme s'il hésitait à rester debout ou à s'asseoir. Son regard noir fixait le vide, une dose de satisfaction égayait son visage au profil dur et aux pommettes creuses. Il replaça adroitement sa cravate en incitant son invitée à entrer lorsqu'elle franchit le seuil de la porte dépourvue de poignée. L'atmosphère était aussi froide que dans un cabinet de médecin, la disposition des meubles et la froideur des décorations impersonnelles ajoutaient une tension palpable à n'importe quelle rencontre professionnelle. Une enveloppe épaisse trônait en plein milieu de la surface du comptoir, ce qui n'échappa pas à l'œil aiguisé d'Aïda. Elle s'avança vers le Boss, la tête haute, contournant son bureau pour lui faire face. La main tendue vers lui, il la lui serra sans dire mot, de la fierté se dégageant de sa mine soulagée.

- Nous n'aurions rien pu faire sans vous, Mrs. Reed, nous vous devons beaucoup à partir de ce jour. Vous avez fait vos preuves au sein de l'organisation, veuillez accepter ce montant en guise de notre gratitude, rajouta-t-il le tas de billets verts déplié vers elle. Phillips a pu verser sa peine de trahison, et cela en toute discrétion. Je savais qu'en vous engageant je pourrais profiter de votre prudence, vous êtes la meilleure dans votre domaine je ne pourrais en douter.

- Vous avez raison, acquiesça Aïda avec aplomb. Si vous avez besoin de mes services éventuellement, je serai votre arme.

- Bien content de l'entendre de votre bouche, pour être honnête avec vous je ne vous ai pas convoqué ici pour vos beaux yeux, mais pour vous proposer une offre additionnelle.

Après quelques secondes de réflexion, elle eût des doutes monstrueux par rapport au fait de poursuivre sa vie sur cette voie. Elle avait prévu de faire quelques coups d'argent pour s'assurer de vivre aisément, puis se retirer dans un quartier moins houleux de la ville. Seulement, Aïda avait trop de potentiel aux yeux du Boss pour la laisser filer, elle le sentait dans le ton qu'il employait pour la soudoyer. Elle était un loup solitaire, n'ayant pas de famille proche et très peu de connaissances, ce qui lui octroyait la position de candidate parfaite selon ce qu'il désirait pour sa multinationale. Une couverture, bien évidemment, puisqu'une entreprise faisant publiquement partie du Marché noir attirerait l'attention des autorités.

- Supposons que j'accepte, quels seront mes objectifs?, fit-elle l'hypothèse. Je ne m'embarquerai pas dans une mission à laquelle je ne connais pas les risques.

- Bien entendu, vous êtes plus intelligente que la plupart des mercenaires sans cervelle qui ne font que tuer de sang-froid. Je vous enverrai personnellement tous les détails par messages textes.

Il tendit de nouveau sa paume vers elle, et de l'autre il atteignit son porte-crayon de métal argenté pour y sortir un feutre noir. Le Boss le lui brandit devant les yeux, un sourire malicieux étirant son visage:

- Votre numéro, vous permettez ?

Le trajet jusqu'à sa voiture, une Audi rouge usagée, lui donna l'impression d'être plus long qu'à son arrivée. Le stationnement souterrain protégeait les automobiles de tous ses employés, il fallait qu'il puisse couvrir une superficie suffisamment importante pour que tous possède une place réservée. Clés en main, elle s'installa du côté conducteur en s'affaissant contre son siège de cuir dans un soupir. Soudain, une alerte de portable retentit dans le coffre à gants, brisant le silence omniprésent du garage. Le retirant doucement, elle put reconnaître le destinataire du message reçu sur l'écran allumé : l'assistant personnel du Boss, qu'elle n'avait aperçu brièvement qu'une vingtaine de minutes auparavant. C'était un texto simple, qu'une seule ligne, qui laissait présager une tournure d'événements défavorables à ceux qui osaient entraver la portée de la puissance du Boss.

« Surveilles ses acolytes, s'ils tentent de nous exposer tu t'en débarrasses. »

Soudain, une nouvelle notification apparut à son écran, suivie d'un courriel, toujours de la part d'un employé du Boss. C'était une liste de noms écrits en noir sur fond blanc, pas plus d'une dizaine : tous des inconnus. Le cercle le plus proche de Phillips, probablement quelques amis récoltés au fil des années dans des transactions louches. Il en était ainsi dans ce milieu quelque peu périlleux, les plus aventureux se retrouvaient entre eux, poussés par leur désir insatiable de risque, et formaient un lien de confiance à toute épreuve. Le danger attirait les esprits malsains autant que les âmes innocentes, tous ayant en commun les mêmes problèmes : d'argent, de drogues, d'ennemis, ou tout simplement de l'addiction que les affaires illégales procurait.

Aïda possédait un petit appartement miteux a moins d'une heure du centre-ville et des bureaux du Boss, qu'elle partageait avec une colocataire, Amanda, qu'elle avait déniché sur Craigslist. Celle-ci était de nature discrète, loin d'être le type à se mêler de ce qui ne la regarde pas : elle semblait un peu trop concentrée sur sa propre personne pour s'en préoccuper. Les deux femmes n'étaient pas particulièrement amies, mais elles arrivaient à se supporter suffisamment pour cohabiter dans un espace aussi restreint. Les pieds ancrés sur le tapis tissé des lettres « Welcome », elle ne put s'empêcher d'entendre la forte voix d'Amanda, qui s'époumonait à crier des insultes au téléphone, probablement à son copain du moment. Ils se disputaient ainsi quelques fois par jour, finissaient par s'oublier quelques temps, puis recommençaient le même manège.

- Non, mais tu y crois toi?, soupira-t-elle, les larmes aux yeux en posant le combiné. Il m'appelle pour me dire qu'il a besoin d'espace, de temps pour réfléchir à ce qu'il veut vraiment. Bordel, dans la mi- vingtaine tu devrais le savoir!

- Je ne le connais pas, mais laisse lui le bénéfice du doute. De toute façon, vous vous retrouvez à tous les coups, ajouta Aïda pour la calmer.

Elle avait un don particulier pour interrompre les crises de nerfs de sa colocataire au tempérament plutôt explosif. Amanda s'effondra dramatiquement sur le canapé dans un dernier souffle désespéré, puis se releva d'un mouvement brusque, ses boucles blondes en bataille devant son visage en regardant Aida avec de grands yeux scintillants, prête à lui demander une faveur :

- Fais-moi sortir ce soir! Je vais pouvoir oublier cet idiot de Mark et ça ne te ferait pas de mal de te décoincer un peu...

« Oh, si seulement tu savais le nombre de soirées auxquelles je vais, par contre sûrement pas pour les mêmes raisons que toi », se dit Aïda tout bas en ne pouvant que se réjouir contre son gré de l'ironie de la situation. Personne ne pourrait réellement apprendre à connaître qui elle est. Jamais.

- S'il te plaît, la supplia Amanda.

Son hésitation était palpable, sa colocataire l'interprétait simplement comme de la gêne ou une peur irrationnelle de se retrouver devant autant d'inconnus : elle était si loin de la vérité :

- Va te préparer, je conduis.

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⏰ Last updated: Jan 18, 2018 ⏰

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