Le départ

12 0 0
                                    


La dernière fois que j'ai vu la France, c'était sur les quais du port de pêche de Baulin. Un petit village du Pas-de-Calais, où j'ai grandi avec mes parents.

Mais ce matin-là, les quais étaient brumeux, tandis que dans l'air flottait une odeur étrange. Les Allemands occupaient la région depuis peu, mais les patrouilles étaient rares. Je rasais toutefois les murs, me glissant dans l'obscurité. Personne n'était levé, pas même les premiers pêcheurs. D'ailleurs, je percevais parfois des ronflements étouffés. Par précaution, je contournai la cour d'Edgar, le chasseur, dont le chien aurait aboyé s'il m'avait vu, et j'arrivai sous la fenêtre de mon plus vieil ami. Thibault était le fils du boulanger et sans doute le meilleur élève de tout le lycée.

Je mis mes mains devant ma bouche et imitai le cri de la chouette. C'était un signal convenu entre nous. J'attendis quelques minutes dans la nuit fraîche, mais rien ne bougeait. Je m'apprêtais à recommencer lorsque la porte s'ouvrit lentement. Thibault en sortit, chargé d'un sac en toile et d'un poste radio emballé dans un torchon rouge. Il tenait également une miche de pain dans sa main. Il me dévisagea d'un rapide coup d'œil pour s'assurer que je n'avais pas changé d'avis, et m'offrit le pain. J'allais lui poser une question quand il me fit signe de se taire. Nous reprîmes la rue vers le port, les pieds nus afin ne pas se faire repérer.

Le quai était toujours désert. Enfin, pour le peu que nous voyions : le brouillard s'épaississait. De nouveau, je fis le signal. Cette fois-ci, on me répondit.

- C'est Simon. On peut y aller.

Simon était notre camarade de classe venu de Pologne sans ses parents pour se réfugier en lieu sûr. Mais l'ogre Nazi le menace de nouveau, et il ne sera pas plus en sécurité en France, même si c'est un couple non-juif qui l'a hébergé comme son fils. Mais son léger accent le trahit et tout le lycée est au courant de sa religion. Beaucoup le harcèlent à ce sujet.

Je suivais Thibault entre les bateaux, en évitant de trébucher sur les cordages. Nous arrivions à notre embarcation : un canot que nous avions réparé et auquel nous avions ajouté une petite voile. Thibault posa ses bagages parmi les nôtres. Nous avions juste assez de place pour nous installer tous les trois. Simon nous attendait au bout de la jetée. Il était parti, comme prévu, s'assurer qu'aucun témoin ne nous voie.

Je défis les amarres et Thibault pris les rames. À la sortie du port, Simon nous rejoignit, en manquant de faire chavirer la barque.

- J'ai pris deux rames de plus, chuchota Simon. Ça ira plus vite.

Il m'en tendit une et commença à manœuvrer pour s'écarter de la jetée. Notre longue traversée de la Manche nous attendait, avec pour destination l'Angleterre.

F 49 JWhere stories live. Discover now